Stress, burnout : faut-il avoir peur du travail ?

Maurice Thévenet

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Stress, burnout : faut-il avoir peur du travail ?

Souffrance et violence au travail

© M.Ludwiczak_istock

La violence sévit au travail. Nos organisations sont à l’image de notre société : on y souffre et on y subit. À tel point qu’on se demande où il peut faire bon travailler et qu’on ne voit des lieux de travail que les horreurs que subissent les salariés. Ils sont pourtant loin de se résumer à ça. D’où ce rappel de la nécessité d’une pédagogie du vivre ensemble. Y compris dans nos institutions.

Nombreux sont les ouvrages, articles ou reportages qui décrivent l’horreur du travail au quotidien, au point de dissuader tout homme normal de tenter d’en chercher. Le stress, la souffrance, le harcèlement ou le suicide en seraient les signes principaux. Mais la liste des péchés ne s’arrête pas à ces symptômes individuels.

Le bel ordonnancement des relations d’affaires et du commerce laisse parfois la place à l’espionnage ou à ce que l’on appelle pudiquement l’« intelligence  » économique, même dans les plus belles institutions respectables. La corruption, les menaces, le chantage, les pressions diverses agrémentent le jeu normal du marché parfait, où seules des volontés adultes et responsables devraient normalement se confronter. Les rumeurs, les dénonciations, la falsification des enquêtes et des tests, la publicité mensongère, la tromperie sur la marchandise, le vol, le coulage, le sabotage, tout cela existe dans le monde du travail.

Pour de nombreux salariés, travailler présente un risque : on parle moins des risques d’accident du fait des spectaculaires améliorations de la sécurité au travail dans des secteurs qui étaient traditionnellement très « accidentogènes  » comme le bâtiment ou certaines industries.

Toutefois, le danger resurgit dans les banques, les bijouteries ou le transport de cigarettes. Le risque de hold-up grandit dans les grands magasins ou les dépôts de cuivre quand flambe le prix des métaux précieux. Que dire encore des agents de sécurité dans la grande distribution, des contrôleurs dans les transports publics ou des expatriés dans les pays dangereux

Violence et maléfice dans le monde du travail

Certes, ces violences et ces turpitudes ne sont jamais que le reflet de ce qui se passe plus globalement dans la société. Si celle-ci est apparemment plus sûre qu’à d’autres époques de l’histoire, il reste difficile d’argumenter que l’insécurité, le crime et la violence se sont réduits durant les trois dernières décennies.

C’est bien cette évolution des comportements qui nourrit un nouveau secteur d’activité, la sécurité, en croissance constante, c’est la même évolution qui a fait supplanter le contrôleur solitaire de la RATP par des bataillons d’agents seuls capables de se défendre contre des agressions qui auraient paru inenvisageables dans le passé.

Il est cependant des violences ou souffrances plus spécifiques à l’entreprise, l’association ou l’administration. Assez souvent, il y a un décalage entre l’image extérieure d’une institution, d’un produit ou d’une innovation et la pratique du management en interne. Certaines grandes entreprises ont eu des patrons très durs, pas toujours à l’image gentillette et policée complaisamment communiquée dans les magazines économiques.

Assez souvent, il y a un décalage entre l’image extérieure d’une institution et la pratique du management en interne.

Par exemple, le patron emblématique d’Apple n’était pas toujours très commode d’après certains de ses interlocuteurs. On peut d’ailleurs se demander si les situations de crise ne suscitent pas des modes de relation et de commandement qui ne correspondent pas toujours aux canons de prévention des risques psychosociaux.

Facteurs aggravants

Il existerait aujourd’hui des facteurs aggravant ce risque de violence et de maléfice dans le monde du travail. Pour l’éditorialiste de la vie des affaires du magazine The Economist ((Schumpeter. Of businessmen and ballerinas, The Economist, 9 février 2013.)) qui relate des événements survenus au Bolchoï (lesquels relèvent plus des faits divers que du récit managérial), il y aurait au moins trois facteurs aggravants des conditions de vie au sein de nos organisations.

Le premier tiendrait à la généralisation de l’évaluation individuelle de la performance. Celle-ci crée de la pression sur l’acteur au travail en en faisant le responsable premier de sa rémunération et, plus sérieusement, de l’image qui lui sera renvoyée de lui-même. Comme cette individualisation correspond en plus à l’air du temps d’une valorisation extrême de l’autonomie, de la responsabilité et de l’identité personnelle, la pression n’en est que plus forte.

Le deuxième facteur a trait à l’environnement de crise. C’est évidemment la crise économique qui met de nombreuses entreprises ou institutions en difficulté, mais aussi une crise plus latente avec ses interrogations sur l’avenir, ses inquiétudes existentielles et son manque d’espérance dans l’avenir. La menace de la crise peut exacerber les stratégies et comportements individuels, en dénouant le lien social, en renforçant les comportements de fuite solitaire et de tentative de salut individuel.

Le troisième facteur concerne cette tendance inexorable à individualiser de plus en plus les politiques de personnel considérées comme importantes. En parlant de talent ou de haut potentiel, on accroît la pression sur les personnes qui ressentent la nécessité, mais aussi le risque, d’appartenir aux catégories convenables. Ces dénominations pertinentes pour certaines personnes envoient aussi un signal d’exclusion ou de déterminisme de la gestion des carrières. Autant il est intéressant d’y appartenir, autant il peut être fatal d’avoir manqué le bon embranchement.

Réagir à l’horreur organisationnelle

Face à cette horreur organisationnelle, il y a trois manières de réagir.

La première consiste à se scandaliser et à stigmatiser les organisations pour les tragédies qui s’y déroulent. De là à penser qu’il existe un déterminisme fatal générateur de malheurs inéluctables dans les organisations de travail, il n’y a qu’un pas.

La deuxième réaction, plus largement partagée me semble-t-il, consiste à se complaire dans un discours tout fait. Ce peut être le discours cynique et négatif qui ne voit, dans l’institution comme ailleurs, que la violence et la malhonnêteté. Ce même genre de discours de complaisance peut être totalement contraire et refuser cet état de fait en perpétuant des discours managériaux gentillets dans lesquels les forces vertueuses de la participation, de la communication, de l’autonomie, de la communication, de la transparence, etc. créent par enchantement un monde idéal dans lequel l’économique et le social s’entretiennent, se complètent et s’épaulent. Hors de cette vision idéalisée, il ne saurait alors exister de réalité.

La dernière réaction est sans doute la plus réaliste et la plus exigeante, elle consiste à considérer que si telle est la réalité, celle-ci ne se réduit pas à ces vilenies. Les organisations, comme notre société, sont des lieux de malhonnêteté, de violence et de méchanceté, nous le savons depuis des millénaires. Cependant, elles ne sont pas que cela et cette conviction devrait guider l’action de ceux qui sont chargés de les gouverner.

Les organisations sont des lieux de malhonnêteté, de violence et de méchanceté, mais elles ne sont pas que cela.

Gouverner une institution sans la considérer comme un fatal enfer à éviter ou ostraciser pourrait conduire à trois types d’action.

Premièrement, les institutions ne devraient jamais oublier leur raison d’être, à savoir un service à rendre. Non seulement il ne faut pas l’oublier, mais il faut se le rappeler sans cesse, à toute occasion, surtout quand l’idéalisme ou le dépit risquent de gagner.

Deuxième­ment, on devrait toujours mettre en valeur le fait que les institutions sont des lieux de relation dans une société qui n’en comporte pas tellement. Et l’expérience relationnelle offerte est une opportunité de développement, un mode de satisfaction, une source d’épanouissement possible. Ces relations ne sont pas magiques, elles résultent aussi d’un effort de gouvernance qui en fait une mission prioritaire.

Troisièmement, la gouvernance des institutions dans un monde violent et hors-la-loi devrait se rappeler un objectif prioritaire d’apprentissage de la règle. Si certains cherchent régulièrement à rappeler l’insécurité de notre société et ses dérives malfaisantes, les institutions ont aussi une responsabilité de la pédagogie de la règle et du vivre ensemble.

À lire

- La prévention des risques psychosociaux : supplément d’âme du management ? La Lettre du cadre n° 448, 1er septembre 2012.

- Prenons en charge la souffrance psychosociale, La Lettre du cadre n° 438, 1er mars 2012.

- Les clés du mieux-être au travail, La Lettre du cadre n° 437, 15 février 2012.

- Le bien-être au travail crée de la valeur, La Lettre du cadre n° 409, 15 octobre 2010.

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