Supprimer un niveau de collectivité (le département), oui c’est possible

Maëtte Guldener
Supprimer un niveau de collectivité (le département), oui c’est possible

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© SFIO CRACHO - adobestock

La suppression d’un niveau de collectivité est assez unanimement reconnue comme nécessaire. Les élus sont réticents, mais les agents y sont prêts. Et l’État semble l’avoir décidé. Reste à employer la bonne méthode pour lever les derniers obstacles.

Article publié le 22 mars 2018

Quels sont les facteurs qui empêchent la France de parvenir à réduire le millefeuille territorial ? Pourquoi le département recrée-t-il une agence de développement économique alors qu’il vient d’être dessaisi au profit des régions et intercommunalités ? Est-ce pour la pertinence de l’action ou pour le maintien d’un pouvoir ? L’action publique locale a un réel impact sur la vie de nos concitoyens par les aménagements urbains, les politiques sociales, la construction de maisons de santé, d’équipements culturels et sportifs qu’elle développe. Elle mérite donc une réforme réussie.

Lire aussi : La disparition des départements est-elle inéluctable ?

Les obstacles à une réforme globale… des éléments connus mais non partagés

La réforme territoriale n’aboutit pas pleinement car elle est construite sur des non-dits :

- La résistance des acteurs et plus précisément des élus locaux est un facteur majeur. Certes, le dévouement des élus à leur territoire est tout à fait louable : investissement fort, volonté d’œuvrer pour la « chose publique », parfois au détriment de leur vie professionnelle et privée. Cependant, quel maire ou quel président de département a envie de rendre son mandat ? Cela est d’autant plus vrai à propos des élus départementaux, dont le dimensionnement et la concurrence pour être élu sont souvent féroces.

  • Preuve par l’exemple : face au souhait d’Emmanuel Macron de « confier aux services des métropoles les compétences des conseils départementaux où elles se situent », un certain nombre de présidents de département ont fait part de leurs réserves. Que répondraient-ils aux 52 % des Français se déclarant favorables à la suppression des conseils départementaux ?
  • Autre illustration, intercommunale cette fois-ci : le transfert des compétences eau potable et assainissement vers les intercommunalités prévu initialement pour 2020. Cette décision a été prise pour les raisons suivantes : développement des solidarités territoriales, mutualisation des moyens, augmentation des capacités d’investissement… Or, là encore, blocage des communes qui craignent un coût de fonctionnement plus important et un éloignement. Dans ces communes, c’est le maire qui se déplace à deux heures du matin en cas de problème d’assainissement par manque de personnel… Cela fait peser une responsabilité écrasante, que signifie donc ce refus de transfert ?

L’impact managérial de la perte d’efficacité et de sens est souvent sous-évalué

- L’impact managérial lié à de la perte d’efficacité et de sens est souvent sous-évalué. 90 % des cadres du secteur public se déclarent heureux au travail (contre 73 % en moyenne tout secteur confondu), 81 % vivent même leur métier avec passion et se réjouissent que leurs missions de service public soient utiles aux citoyens (90 %). Que répondre à des agents qui développent un territoire, une politique sociale si on ne peut dimensionner le territoire et les moyens alloués ? Comment créer une culture d’entreprise ?

Les agents départementaux sont menacés depuis une quinzaine d’années par la disparition de leurs structures. Les agents de catégorie C, issus souvent du territoire dans lequel ils travaillent, moins mobiles et moins diplômés, subissent ces attentes et d’hypothétiques transferts. Certains cadres appréhendent le fait de devoir affronter des situations de concurrence pour l’accès à des postes et fonctions qui ne devraient logiquement pas être dédoublés. Le risque de cette démotivation est de voir partir toutes les compétences dans le secteur privé alors que les défis du public sont passionnants.

Lire aussi : Départements : le chant du cygne ?

Enfin, un dernier point est également peu exprimé : la structuration d’une organisation prend du temps, environ deux ans. Si la collectivité n’a pas une durée de vie pérenne par le fait de demi-réformes, le risque est de passer son temps à structurer sans travailler à un projet de territoire ou à des services rendus.

Au regard de ces éléments, la réforme territoriale et la suppression de certains niveaux de collectivités ne font pas de doute. Il est donc urgent de conduire ces changements maintenant et de manière aboutie sans attendre le prochain quinquennat présidentiel.

Fermeté, planification, écoute

La réforme territoriale, un projet de changement et de management qui devra être piloté en conciliant fermeté, planifications précises et écoute. Tout d’abord, il s’agit de s’inspirer des expériences réussies :

- l’accompagnement des services de l’État, tant au niveau central que déconcentré au moment de la création des intercommunalités ;
- l’incitation financière forte lors de la création des communes nouvelles sur la base du volontariat ;
- l’effet de surprise et les délais très contraints, facilitateurs de la fusion des régions en prenant de court élus et collaborateurs

Malgré les résistances, l’ensemble des acteurs a bien intégré que le législateur a déjà pris une orientation en faveur de certaines collectivités

Il faut également organiser très concrètement le déploiement. Avant tout dispositif d’annonce, l’élaboration d’un schéma directeur des politiques publiques aboutira à une gestion claire des compétences. Aux régions, les compétences stratégiques et structurantes, aux grandes intercos (quatre à cinq par département) la reprise de certaines compétences départementale et communale et aux communes nouvelles la gestion du service de proximité. Ensuite, une fois que ce schéma est établi, voici à quoi pourrait correspondre la nouvelle organisation : 18 régions, 400 à 500 intercommunalités et métropoles et des communes de plus 5 000 habitants. L’exemple de la métropole de Lyon montre que cela fonctionne.

Communiquer et susciter l’adhésion :
- Pour que cette réforme fonctionne, la planification des interventions dans les médias est essentielle en créant un sentiment d’urgence avec la raréfaction des ressources.
- Ensuite, il est primordial de faire adhérer au maximum les acteurs dès que possible. Malgré les résistances, l’ensemble des acteurs a bien intégré le fait que le législateur avait déjà pris une orientation en faveur de certaines collectivités.

L’ensemble des élus, comme l’ensemble des techniciens territoriaux, ont tout intérêt à construire ensemble ces réformes. Une fois la réforme annoncée, il s’agira donc de provoquer des rencontres au sein de chaque grande région afin d’accompagner la décision de périmètres pour les communes nouvelles et l’articulation entre les intercommunalités et les communes nouvelles.

58 % de l’investissement public… est réalisé par les collectivités territoriales et on dénombre 325 000 agents dans les départements. Cela mérite toute notre attention, non ? Contrairement à ce qui est véhiculé au niveau local, l’État a saisi les enjeux depuis fort longtemps et a proposé depuis de nombreuses années un certain nombre de réformes, les agents publics y sont prêts. Il est donc temps de passer au dernier stade : la stratégie directe.

En effet, le changement par les expérimentations ou sectorielles (par niveau de collectivité) a déjà été mis en place et a porté ses fruits. Par ailleurs, de nouvelles structures sont intrinsèquement synonymes d’innovation, de meilleure gestion (les dépenses de personnel sont moindres dans les intercommunalités), le personnel mieux formé. Les nouveaux élus y trouveront des challenges passionnants. Nous sommes loin du modèle estonien mais si nous prenions la direction du service à l’usager du 21e siècle ?

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