Sylvain Grizot
© JP Djivanidès
Défenseur de l’urbanisme circulaire, Sylvain Grisot considère que nous devons réinventer notre usage de la ville et de sa périphérie. Si on ne veut pas laisser « la ville du quart d’heure » aux plus riches, c’est sur la ville existante, ses friches et ses usages, qu’il faut travailler. Et trouver les compétences pour y arriver.
Mini CV
Urbaniste au sein de l’agence de conseil et d’innovation urbaine Dixit, chercheur associé de l’unité mixte de recherche « Espaces et sociétés » de l’université de Nantes, Sylvain Grisot est l’auteur du « Manifeste pour un urbanisme circulaire ». Le 16 septembre dernier, il était invité à s’exprimer devant la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, pour parler de lutte contre l’artificialisation des sols et d’étalement urbain.
Son livre : https://urbanismecirculaire.fr/
Comment avez-vous cheminé vers cette notion « d’urbanisme circulaire » ?
J’accompagne le changement d’usage des sites urbains depuis dix ans. Des sites hospitaliers emblématiques, des sites industriels, la densification d’un cœur de bourg… mon activité est un peu particulière, elle est plus de l’ordre du conseil que de l’étude. Si elle était un peu annexe lorsque j’étais salarié, elle est devenue mon cœur de métier il y a cinq ans avec la création de ma propre structure. Je me consacre uniquement à ces questions.
« Chaque aménagement correspond à un usage, on fait une ville qui est finalement touchée par une forme d’obsolescence programmée »
Pour avoir travaillé comme maître d’ouvrage sur la structure publique, j’ai constaté que les projets étaient généralement mal pensés. Très vite, cela handicape toute la vie de ces projets, notamment ceux qui portent sur la question de transformation de la ville sur la ville. J’ai analysé cette question à travers mon blog, et c’est un petit article qui a déclenché cette réflexion. Son titre était « Pour un urbanisme circulaire » ((http://dixit.net/pour-un-urbanisme-circulaire/)) et il a trouvé un certain écho, y compris dans les ministères. J’ai ensuite été sollicité pour des conférences, des débats, des prises de paroles qui m’ont amené à approfondir l’idée.
Que mettez-vous derrière ce terme d’urbanisme circulaire ?
C’est effectivement un terme et non un concept, et je me suis aperçu qu’il rendait les choses très lisibles pour les professionnels. Les principales matières premières de la fabrique de la ville aujourd’hui, ce sont le béton et l’enrobé et surtout, du sol. Sauf qu’on fait la ville de façon linéaire, on consomme du sol et c’est autant de surfaces agricoles qui disparaissent. Chaque aménagement correspond à un usage, on fait une ville qui est finalement touchée par une forme d’obsolescence programmée, on va générer des friches, des délaissés…
« Le concept de ville du quart d’heure pose une question centrale : qui peut se payer la proximité ? »
L’urbanisme circulaire consiste à dire que pour un nouveau besoin urbain, on peut commencer à travailler dans le périmètre déjà urbanisé et éviter de consommer du sol. Beaucoup de bâtiments ne sont pas, ou sont peu, utilisés, on peut déjà transformer l’existant en densifiant, en modifiant l’occupation d’un espace, en recyclant les espaces… L’idée est de donner de la lisibilité à chacun sur ce qui est pérenne et durable, et ce qui ne l’est pas. Il faut que par défaut, on évite de construire, de démolir et d’artificialiser.
Votre vision de la ville de demain se rapproche beaucoup de celle de la ville du quart d’heure de Carlos Moreno, où il est question de multiplier les usages d’un lieu…
Cet enjeu de mixité des usages et donc de proximité, de réduire les distances pour éviter d’utiliser la voiture, c’est la notion de ville de la proximité, celle qui laisse le choix. C’est un concept que l’on trouve dès les années 1930 à New York, en réalité. Ce processus qui est lié à la mobilité et à la place donnée à la voiture n’est pas nouveau. Nous avons laissé la voiture dessiner la ville à notre place, et l’objectif est de parvenir à se détacher de cette dépendance à la voiture. Dire cela à l’échelle parisienne ne prend pas le même sens qu’à l’échelle de territoires beaucoup moins denses. Créer des alternatives, cela veut dire rapprocher des fonctions. Et le concept de ville du quart d’heure pose une question centrale : qui peut se payer la proximité ? Le cadre supérieur peut se rendre à son travail à vélo, vivre au centre. Mais quand on a moins de revenus, qu’on est en processus d’accession, c’est moins vrai.
« Cela fait vingt ans que l’on parle de lutte contre l’étalement urbain et pourtant et nous sommes dans une hausse de la consommation des sols. »
La question du maillage dans le périurbain est fondamentale et nécessite une transformation en profondeur. L’étalement urbain est directement induit par le système de mobilité automobile, il a permis de ne pas se poser la question des valeurs foncières et des fragmentations sociales qui sont à l’œuvre de façon structurante depuis 50 ans. Mais justement : cela n’a que 50 ans.
Les pouvoirs publics ont-ils saisi l’ampleur des enjeux pour faire muter la ville vers une ville de proximité, plus inclusive et résiliente ?
À tous les niveaux, on assiste à une prise de conscience de la fin d’une époque et d’une grande fragilité du système urbain. Au niveau des ministères, au niveau territorial, les élus mais aussi de nombreux professionnels prennent conscience qu’on est dans l’impasse. Maintenant, il faut agir. Quelques territoires prennent des virages en termes de planification, d’annonces, de cadrage de politiques publiques… la Convention citoyenne pour le climat en a remis une couche puisque l’artificialisation des sols a été au cœur de ses préoccupations.
« À partir de maintenant, il devient essentiel de partir du principe que toute intervention sur le tissu existant doit être exemplaire ».
Cela fait vingt ans que l’on parle de lutte contre l’étalement urbain et pourtant, la loi SRU n’a eu qu’un effet extrêmement marginal puisque cette année encore, nous sommes dans une hausse de la consommation des sols. Parler aujourd’hui de trajectoire à 2050 n’a pas de sens si l’on n’infléchit pas maintenant : la ville de 2050, elle commence déjà à se construire. On a donc besoin de pousser les solutions mais cela ne veut pas dire qu’on arrête tout, cela veut dire que l’on doit faire différemment.
Comment ?
Il faut densifier différemment, coordonner les opérations d’aménagement, passer par les urbanistes coordonnateurs. Il y a un rôle du politique et de la collectivité qui doit aller plus loin que changer le PLU tous les dix ans. Aujourd’hui, les opérations se font à la parcelle sans vraiment regarder ce qu’il se passe autour, puisqu’elles sont entre les mains d’opérateurs privés. À partir de maintenant, il devient essentiel de mener le dialogue sur ces questions, et de partir du principe que toute intervention sur le tissu existant doit être exemplaire.
«Il y a des métiers qu’il faut acquérir, d’autres qu’il faut changer et encore d’autres qu’il faut inventer. Ce qui nécessite un gros travail sur la compétence publique et privée ».
Quels leviers peuvent être actionnés ?
Des personnes trouvent des solutions, mais peu de monde connaît leur action. Et donc à chaque fois, on réinvente la roue. On ne sait pas transmettre ces savoirs et disséminer ces informations, pourtant il faut qu’on apprenne de ces pionniers.
D’après moi, il existe trois leviers : la connaissance d’abord. Il faut savoir où sont les ressources cachées d’un territoire, recenser les friches, le foncier invisible, les futures friches comme les zones commerciales devenues obsolètes, mais aussi le périurbain qui peut être densifié. Ce travail doit aussi être réalisé sur le périurbain économique sur lequel il n’y a eu aucun progrès depuis vingt ans, en même temps que l’on identifie les bâtiments mal utilisés ou sous-utilisés, notamment les bâtiments publics.
Si on relit la loi SRU, c’est fascinant : dès les premiers paragraphes de cette loi qui date pourtant de 2000, tout est dit !
Le deuxième levier va être celui de la compétence des acteurs, parce qu’il est plus difficile de travailler sur l’existant. Ces lieux sont bâtis et souvent habités, ils peuvent être pollués, on est sur des contextes plus complexes qu’un terrain agricole plat. Il y a des métiers qu’il faut acquérir, d’autres qu’il faut changer et encore d’autres qu’il faut inventer. Ce qui nécessite un gros travail sur la compétence publique et privée, qui concerne autant les élus que la conscientisation des citoyens.
Enfin, c’est aussi une question d’organisation des processus et outils, les méthodologies de process ne sont pas les mêmes. Tout cela nécessite de poser des questions fondamentales de disponibilité des compétences sur les territoires, de disponibilité des outils… Par exemple, il n’y a pas des établissements publics fonciers suffisamment stables dans leur financement et suffisamment costauds dans leurs compétences sur tout le territoire français. Dans certains cas, il devient nécessaire de sortir de la logique de marché qui a produit des effets sociaux délétères, avec l’éviction de certains ménages : cela demande de réfléchir à de nouveaux acteurs.
Ce qu’on comprend en vous lisant, c’est qu’on est en train de prendre en compte un paramètre totalement oublié jusque-là par les générations précédentes : le fait d’apprendre, dans les décisions que l’on prend, à se soucier du lendemain…
Si on relit la loi SRU, c’est fascinant : dès les premiers paragraphes de cette loi qui date pourtant de 2000, tout est dit ! Les constats sont faits sur les impacts, on ne parlait pas de réchauffement climatique mais tout le reste est là, la construction de la ville sur la ville, la question des réseaux, des outils à déployer… Ce n’est donc pas un changement de règles qui est nécessaire, c’est un changement de système. Ça nécessite de réformer plus que le code de l’urbanisme. Il faudrait réformer les esprits, les façons de faire, le business model… bref, le modèle global.