Scandale : le Conseil constitutionnel a décidé vendredi l'abrogation immédiate de la loi sur le harcèlement sexuel qu'il a jugée trop floue, créant de fait un vide juridique qualifié de catastrophique par les associations féministes.
Aujourd'hui, toutes les procédures en cours pour harcèlement sexuel sont annulées, ont déploré ces associations, criant au "recul historique" des droits des femmes et en demandant qu'une loi mieux formulée soit adoptée de toute urgence après les législatives de juin.
Le Conseil constitutionnel avait été saisi par le biais d'une "question prioritaire de constitutionnalité" (QPC) soulevée en cassation par Gérard Ducray, 70 ans, conseiller municipal de Villefrance-sur-Saône (Rhône) et ancien député, condamné en appel en 2011 pour harcèlement sexuel à trois mois de prison avec sursis et 5.000 euros d'amende.
Il considérait que le Code pénal, en ne définissant pas clairement le délit qui lui était reproché, permettait "tous les débordements, toutes les interprétations", avait plaidé son avocate, Me Claire Waquet.
L'article incriminé du Code pénal (le 222-33) stipulait: "Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende".
Cette formulation très ouverte datait de 2002, alors que le harcèlement sexuel avait été introduit de manière plus précise en 1992 dans le Code pénal et impliquait alors un "abus d'autorité" de la part de la personne poursuivie.
Le Conseil constitutionnel a rappelé qu'en vertu du principe de "légalité des délits et des peines", le législateur devait "définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis". Il a estimé que l'article contesté ne répondait pas à cette exigence et l'a déclaré contraire à la Constitution.
Paradoxalement, l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) s'était jointe à la procédure pour demander elle aussi l'abrogation de ce texte mal ficelé, mais de manière différée, afin d'éviter tout vide juridique.
"responsabilité du législateur"
L'association disait faire "une analyse radicalement opposée à celle de Gérard Ducray". Alors que lui avançait le risque de répression par les tribunaux de la "drague admissible", elle affirmait constater "des classements sans suite quasi systématiques" et des renvois pour harcèlement devant le tribunal "d'agissements qui auraient pu être qualifiés d'agressions sexuelles, voire de viols".
Mais les Sages ont estimé qu'une abrogation différée aurait été contraire au principe de non rétroactivité de la loi pénale.
"C'est absolument catastrophique pour toutes les victimes qui ont des procédures en cours. C'est terminé pour elles, les personnes qu'elles ont mises en cause peuvent aller sabler le champagne", a réagi Marilyn Baldeck, déléguée générale de l'AVFT.
Un collectif d'associations et d'organisations féministes (Marche mondiale des femmes, Femmes solidaires, AVFT, Collectif féministe contre le viol...) a également jugé "révoltant" le "message d'impunité ainsi adressé aux harceleurs".
"Il est maintenant de la responsabilité du législateur, dès que l'Assemblée nationale sera réélue, de mettre à l'ordre du jour prioritairement le vote d'une nouvelle loi", a estimé la déléguée de l'AVFT. Mais la loi pénale n'étant pas rétroactive, elle ne s'appliquera pas aux affaires en cours, a déploré le collectif.
"Je suis très heureux" de cette décision, a en revanche déclaré à l'AFP Gérard Ducray, se réjouissant d'un encadrement à venir plus net de la loi, alors qu'avec l'actuelle, "on laissait aux juges la liberté de l'interpréter".