Très chers incinérateurs

Marjolaine Koch
Très chers incinérateurs

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© hassan bensliman

L’incinérateur est un élément central de la politique de gestion des déchets en France. Au point de prendre du retard sur d’autres méthodes, sans avoir vraiment optimisé, jusque-là, la valorisation énergétique que l’on serait en mesure d’attendre d’une telle quantité de déchets brûlés – près de 15 millions de tonnes par an.

La France, berceau des incinérateurs ? Apparus pour remplacer l’enfouissement, interdit successivement par les lois de 1975 et 1992, les incinérateurs ont connu de belles heures dans les années 1980. On en comptait près de 400 en France, une période où les installations brûlaient sans compter, et surtout, sans valoriser. Des millions de tonnes de déchets partis en fumée opaque, source d’inquiétude pour des riverains soucieux de leur santé.

Depuis ce temps, la législation s’est durcie, obligeant les collectivités à améliorer leurs installations, et surtout à ne plus brûler à fonds perdus. Désormais, les incinérateurs sont devenus des unités de valorisation énergétique de la production de déchets.

Une grosse marge de progression possible vers la valorisation des déchets

Aujourd’hui, il reste 113 usines d’incinération et seulement 2 % d’entre elles ne pratiquent pas la valorisation énergétique. Plus de la moitié des sites valorisent les déchets sous forme de cogénération thermique et électrique, 20 % produisent de la chaleur et le reste de l’électricité, un rendement moindre. « Une grosse marge de progression est possible sur ces sites, explique Matthieu Orphelin, directeur économie circulaire et déchets de l’Ademe, car la cogénération est bien plus performante. » Mais dans l’ensemble, les chiffres français restent plutôt bons d’après lui, puisque sur les déchets municipaux, 32 % sont valorisés sous forme énergétique alors que la moyenne européenne n’est qu’à 19 %.

Seulement une quarantaine de collectivités séparent l’organique, c’est bien trop peu.

Chez Zero Waste France, organisation militant pour le zéro déchet, on estime pourtant que la France se contente de peu. Les incinérateurs pourraient avoir un rendement bien plus performant si tous les déchets organiques, brûlant difficilement car humides, étaient séparés des déchets résiduels. « Seulement une quarantaine de collectivités séparent l’organique, c’est bien trop peu » détaille Laura Chatel, chargée de l’accompagnement des collectivités dans leur démarche Zéro déchet.

À Ivry, deux visions s’affrontent
À l’est de Paris, le Syndicat de traitement des déchets de l’agglomération parisienne prévoit de remplacer d’ici 2023 l’incinérateur actuel (730 000 tonnes/an) par un incinérateur plus petit (350 000 tonnes/an), un tri mécano-biologique (310 000 tonnes/an) et une unité de méthanisation. Le groupement IP13, qui a remporté le marché évalué à 1,8 M.euros, est conduit par Suez Environnement. Mais face à eux, le Collectif 3R veut proposer une alternative destinée à conduire le territoire vers le zéro déchet. Car ils posent la question : quelle est la cohérence entre ce type de projet, dont le tonnage total reste identique, et les objectifs d’économie circulaire et zéro gaspillage fixés par la loi de transition énergétique ? Pour eux, le projet est déjà anachronique. Pour le prouver, ils brandissent l’exemple de la ville toscane de Capannori, qui avait refusé la construction d’une usine d’incinération à la fin des années 1990. Pour un budget dix fois moindre, la ville a mené une politique ambitieuse de réduction des déchets à la source, basée sur la redevance incitative et la généralisation du tri des biodéchets. Arguant du fait qu’il n’y a pas d’urgence à reconstruire un incinérateur à Ivry – de nouveaux systèmes de filtration des fumées ont été ajoutés en 2004 et deux fours remis à neuf en 2011 sur l’incinérateur actuel – cela laisserait à la collectivité le temps d’une transition douce vers une politique plus en adéquation avec les derniers textes de loi.

Les incinérateurs, symboles d’un immobilisme français

Mais pour Laura Chatel, les incinérateurs sont surtout le symbole d’un immobilisme français sur la question de la gestion des déchets : « ce sont des installations chères qui vivent une quarantaine d’années, il faut les nourrir suffisamment pour éviter les vides de four. Il existe encore des collectivités tenues contractuellement de livrer un tonnage minimum de déchets. Elles n’ont donc aucune raison d’améliorer leur efficacité en matière de tri ».

Ce que confirme Gérard Miquel, président socialiste du groupe d’études Gestion des déchets au Sénat : « Quand on a de bons résultats en tri, on a des vides de fours qui privent de fonds financiers les incinérateurs. Et comme il existe encore des contrats avec des opérateurs qui indiquent des quantités à fournir, il faut trouver des solutions alternatives. Par exemple, dans ma collectivité, nous avons formé un partenariat avec la Corrèze pour récupérer une partie de leurs déchets. »

Si l’on garde la maîtrise publique, on évite les abus ou les écarts. C’est primordial.

Le sénateur Républicain Didier Mandelli, coprésident du groupe d’études avec Gérard Miquel, regrette les aberrations auxquelles peuvent arriver certaines infrastructures : « si l’objectif est de chauffer des quartiers ou des industries, on peut voir apparaître des partenariats parfois éloignés. Dans l’est de la France, ils vont chercher des déchets en Allemagne : on est loin des circuits courts ». C’est, pour lui, le signe que « la maîtrise publique des opérations est essentielle, même si l’on a recours à des opérateurs privés ensuite : aujourd’hui, il existe de bons outils pour dimensionner les équipements, et si l’on garde la maîtrise publique, on évite les abus ou les écarts. C’est primordial ».

D’autres solutions sont-elles possibles pour une efficacité énergétique ?

Mais parviendra-t-on, un jour, à penser la gestion des déchets hors des incinérateurs ? Un coût important et la nécessité d’alimenter ces fours pour produire une énergie n’ont-ils pas empêché la France de se tourner vers d’autres solutions susceptibles de fournir, elles aussi, de l’énergie, comme la bio-méthanisation, et de renforcer les actions de tri et de recyclage ? Pour Guy Geoffroy, président LR du groupe d’études déchets ménagers à l’Assemblée nationale, « il ne faut pas opposer les modes de traitement mais les inscrire dans le bon ordre de marche, du tri à l’enfouissement des déchets. Avec le nouveau dessin des intercommunalités en France, il va falloir faire un état des lieux global des capacités de traitement de tous les équipements, pour mieux les mettre en relation ». L’essentiel étant, et tous s’accordent sur ce point, de privilégier les solutions locales : traitement et flux doivent rester courts pour conserver leur efficacité énergétique.

TÉMOIGNAGE
« La France accuse un retard sur la question des biodéchets »
« Trop d’incinérateurs perdent du rendement à cause des biodéchets, qui augmentent le taux d’humidité. La France accuse un retard sur la question des biodéchets, car elle est l’un des seuls pays européens à avoir investi dans le tri mécano-biologique alors même qu’il s’agit d’investissements lourds. Mais cette méthode ne permet pas de faire du compost de qualité. Il faut trier les déchets organiques à la source pour gagner en efficacité, tant du côté des incinérateurs que de la fabrication de compost. La loi de transition énergétique a tâché de rectifier le tir, et demande la généralisation du tri à la source d’ici 2025 et l’abandon du tri mécanique. »
Laura Châtel
Zéro Waste France

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