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En détournant de leur sens les écrits de Max Weber, on légitime les violences policières. Rien, pourtant, ne justifie qu’au nom de l’ordre public, on veuille intimider le citoyen.
Philippe Laporte est directeur général des services de la communauté d’agglomération de Bergerac
À chaque bavure policière, syndicats de policiers et ministre de l’Intérieur citent Max Weber comme une sorte d’absolution magique : « l’État a le monopole de la violence légitime ».
Commençons par reprendre la citation exacte : « l’État revendique (pour lui) […] et parvient à imposer le monopole de la violence physique légitime ». Ce qui est écrit par Weber est donc bien différent d’un blanc-seing qui viendrait conférer une quelconque légitimité à des violences policières. Max Weber décrit la réalité, non ce qui devrait être dans les faits, et surtout pas en droit. Ailleurs, il utilise à la place de « violence » le mot « contrainte », vu comme « les moyens de garantir le droit ». C’est moins violent… Dans la « vertu de la force », Georges Gusdorf écrit que « la violence est cette impatience dans le rapport avec autrui, qui désespère d’avoir raison par raison et choisit le moyen court pour forcer l’adhésion » car « la violence se situe à l’opposé de la force. »
Intimider le citoyen
Il est loin le temps du préfet Grimaud écrivant aux policiers en mai 1968 : « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même », et François Sureau note avec raison qu’il ne s’agit parfois plus de contrôler le manifestant mais d’intimider le citoyen. L’article 8 de la déclaration des droits de 1789 (« la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ») visait à promouvoir la sûreté, c’est-à-dire à protéger les citoyens de l’arbitraire du pouvoir, car les impératifs de la sécurité doivent s’arrêter où commence la sûreté des citoyens.
La République se déshonore en laissant impunies des violences policières exercées en son nom
Il n’y a aucun « droit de l’hommisme » là-dedans, contrairement aux antiennes répétées ad nauseam par le parti de l’ordre. Il faut faire preuve d’une grande confusion mentale pour soupçonner ceux qui sont soucieux de l’État de droit d’une quelconque indulgence envers des fauteurs de troubles et les délinquants. Il y a là de la paresse intellectuelle, et souvent aussi de la malhonnêteté démagogique pour faire peur et manipuler l’opinion.
Manichéisme médiatique
À la fin de la guerre russo-polonaise de 1831 et la répression féroce qui s’ensuivit, le ministre Sébastiani eut cette délicieuse formule : « L’ordre règne à Varsovie ». Le dessinateur Grandville immortalisa ce mot en montrant un soldat russe sur un monceau de cadavres. Est-ce de cette sorte d’ordre dont il est question ? Ne sombrons pas à notre tour dans la caricature, mais rien ne justifie la violence, en temps de paix. La force publique doit s’exercer sans faiblesse pour assurer l’ordre public, mais la République se déshonore en laissant impunies des violences policières exercées en son nom.
Il en est des violences publiques, comme des violences privées : un dramatique aveu de faiblesse.
La faute en est à un manichéisme médiatique, à une dangereuse cogestion avec les syndicats de policiers, à une formation insuffisante et à une nouvelle doctrine du maintien de l’ordre voire, ne soyons pas naïfs, à une instrumentalisation politique de cette violence symétrique (casseurs, manifestants contre policiers) pour éviter les débats de fond et mettre le citoyen en demeure de choisir son camp.
Il ne faut choisir aucun camp. Il faut arrêter et punir les délinquants mais il faut aussi sanctionner les policiers hors-la-loi coupables de violences superflues.
« Celui qui, ayant la force brutale de son côté, se sent mis dans son tort, et comme humilié, par un plus faible, réagit par des cris et des coups » (Gusdorf). Il en est des violences publiques, comme des violences privées : un dramatique aveu de faiblesse.