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Il y a quelques années, lors d’une opération d’envergure réalisée par le conseil départemental, un usager mécontent inondait les services de courriers interrogeant la façon dont étaient mises en œuvre les décisions des élus. Excédé, Pierre Maille avait pris la plume pour répondre de la loyauté des services, demandant à l’importun de lui adresser personnellement ses récriminations.
Quelle est votre définition de la loyauté ?
C’est un mot à la signification forte (traiter quelqu’un de déloyal est une accusation grave) mais dont le sens dépend fortement du contexte dans lequel il est employé. Initialement, être loyal, c’est respecter la loi, la règle puis, par extension, respecter la parole donnée, l’engagement pris et aussi avoir un comportement conforme à la probité et à l’honneur.
Dans le contexte d’une entreprise ou d’une administration, la loyauté va se mesurer au regard des missions, des décisions prises, des modalités de mise en œuvre, de l’organisation hiérarchique.
La loyauté s’accompagne du respect de la décision une fois qu’elle est prise et de respect du secret professionnel
Est-on plus loyal en appliquant aveuglément toutes les décisions de la hiérarchie ou bien en faisant partager son expertise professionnelle sur des difficultés ou des risques éventuels dans la mise en œuvre ? Pour moi, est plus loyal celui qui donne son avis avec bonne foi, franchise et professionnalisme, permettant de prendre des décisions en toute connaissance de cause.
La loyauté s’accompagne du respect de la décision une fois qu’elle est prise, de confidentialité et de respect du secret professionnel. La loyauté, c’est aussi, dans son service, ne pas exprimer ses convictions (politiques, religieuses…). Il peut aussi y avoir des conflits de loyauté, lorsque des décisions ou des situations vont à l’encontre des valeurs ou de l’intérêt général. Deux exemples : quelle devait être l’attitude des fonctionnaires de police de l’État français dans les années 40-44 ? « Loyaux » aux ordres d’arrêter et de livrer des Juifs aux Allemands ? Quelle attitude avoir vis-à-vis d’un cadre dont les agissements mettent en danger autrui (Dieselgate, non-respect des règles dans une entreprise agroalimentaire, management dangereux…). Faut-il être « loyal » à la hiérarchie ou loyal à un principe supérieur ? u
Que vous inspirent les 3 témoignages ci-dessous ? Quel est votre regard d’élu sur ces paroles de managers et d’agents ?
Avant et après
Aujourd’hui, le management tend à nous faire croire que « c’est comme ça et pas autrement ! », « on est loyal, on applique et on se tait ». C’est étrange, parce qu’avant, la loyauté, n’était vraiment pas un sujet… En fait, maintenant, dès qu’on s’autorise à alerter, questionner, on est déloyal ! »
L’œil de Pierre Maille
L’administration se pénalise si elle considère que la loyauté, c’est le silence dans les rangs et l’application aveugle des directives. Nous ne sommes plus au temps des moines des débuts du christianisme ou des membres de la Compagnie de Jésus d’Ignace de Loyala à qui il était demandé d’obéir « perinde ac cadaver » ((« À la manière d’un cadavre », c’est l’illustration de l’idéal d’obéissance aveugle, le cadavre se laisse remuer et traiter, sans protester.)) ! Au contraire, le dialogue préalable avec l’encadrement et avec les équipes peut apporter des idées, identifier des difficultés éventuelles, améliorer les conditions de mise en œuvre des décisions, être un facteur de mobilisation collective. Émettre des observations avant la prise de décision, ne peut être considéré comme une marque de déloyauté.
J’avais pourtant alerté
« J’avais alerté mon N + 1 d’un risque sérieux de tensions sociales en cas de maintien du rythme au pas de course de la réorganisation de mon service. Je lui avais – sans succès – suggéré d’intégrer ce paramètre humain à la note destinée aux élus, pour éviter un conflit annoncé. Le risque fut par lui ignoré, le rythme maintenu et la réorganisation menée tambour battant. Au plus fort de la crise, je finis par évoquer, devant l’équipe, mon devoir de fonctionnaire territoriale. La décision étant prise, il me revenait désormais de la mettre en œuvre, quand bien même je ne la partageais pas. Alors, seulement, la tension s’apaisa. Par loyauté, j’informais aussitôt mon N + 1 de la façon dont j’étais parvenue à calmer les esprits. « Vous êtes déloyale ! » me dit-il aussitôt. Qui de nous deux dans cette histoire, était déloyal ? »
L’œil de Pierre Maille
Je ne pense pas qu’il y ait déloyauté puisque le N + 1 a été alerté sur les difficultés que pouvaient entraîner les décisions en préparation et que, ensuite, une fois ces décisions prises, l’équipe a été mobilisée pour les appliquer. La réaction du N + 1 montre qu’il prend pour de la déloyauté l’expression d’une opinion différente de la sienne.
« Surtout ne dis rien ! »
« J’avais été informé d’un manquement à la déontologie de la part de mon N + 2. Cette fois, la santé physique et mentale d’une jeune femme de l’équipe était en jeu. « Surtout, ne dis rien ! » répétaient mes collègues. Pour m’éviter un conflit de loyauté vis-à-vis d’eux, j’ai contourné l’interdit en glissant cette petite phrase à mon N + 1 : « vous devriez aller la voir… ». Message subliminal, saisi au vol et suivi d’effet. Je n’avais pas trahi ma promesse et en même temps la personne en détresse était tirée d’affaire. »
L’œil de Pierre Maille
Il me semble que la réaction d’aller voir le N + 1 est correcte et habile, en aucun cas « déloyale ». La réaction des collègues – « surtout, ne dis rien ! » – me semble signifier leur crainte des réactions de leur responsable.