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Pierre Veltz, La société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme productif, Seuil, 2017, 128 pages, 11,80 euros.
Pierre Veltz met les pieds sur terre et les points sur les i, loin des lubies et prophéties des gourous du numérique. Il revient d’abord sur trois idées, aussi reçues que fausses.
Retour sur des idées reçues
Non, il n’y a pas vraiment désindustrialisation. Veltz relativise un phénomène qui ne touche pas autant que cela l’Occident tout en affectant déjà certains pays émergents. L’emploi manufacturier, au sens strict, peut régresser. L’emploi industrialisé, au sens large, progresse. Certes, en France, de moins en moins d’actifs exercent dans le secteur manufacturier (3 millions aujourd’hui, deux fois moins qu’en 1973). Certes, la valeur ajoutée industrielle ne représente plus que 10 % du PIB contre un quart dans les années 1960. Mais si l’on raisonne à prix constants, la stabilité prévaut. Surtout, dans nombre de services, notamment les entreprises de réseaux et les services urbains, tout s’est industrialisé.
Non, le robot ne tue pas l’emploi. Les chiffres les plus effrayants ont circulé. Les estimations les plus réalistes dédramatisent le dossier. Ce ne sont pas 50 % mais 10 % des emplois qui seraient concernés, et pas forcément menacés, par l’automatisation. Veltz insiste sur la connectivité, les données, les réseaux. L’entreprise et l’industrie tayloriennes ont, en quelque sorte, vécu. Elles sont progressivement remplacées par des plateformes, c’est-à-dire des infrastructures, numériques et économiques, de production. Le travail s’en trouve transformé, mais absolument pas éradiqué. Dans ce contexte, le salariat se transforme avec la perspective d’un retour du travail à la tâche.
Non, le monde ne bascule dans une civilisation immatérielle. L’aspiration des classes moyennes grandissantes, en Asie d’abord, à la consommation de biens durables laisse augurer de beaux jours pour les manufactures, et de graves problèmes liés à des ponctions insoutenables sur l’environnement. Par ailleurs, la dématérialisation ne produit pas de substitution : le smartphone, produit iconique de la période, ne remplace ni la montre ni la télévision. La dématérialisation ne produit pas non plus de diminution globale de l’ensemble des consommations. À l’inverse, elle les accélère et les démultiplie.
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Un archipel de métropoles
Plutôt qu’un monde post-industriel, Veltz met ainsi au jour un monde « hyper-industriel ». Traduction spatiale de cette nouvelle ère : un archipel de métropoles connectées et concurrentes, dans un monde plus fragmenté et plus polarisé. Hyper-industrialisation et métropolisation vont de pair. Le monde hyper-industriel s’organise en grappes, en campus, en clusters, en écosystèmes, autour du savoir et de la propriété intellectuelle. Des « complexes industrialo-universitaires » forment des points de liaison des chaînes de valeur globales de produits désormais « made in monde ».
Veltz ne se dit pas optimiste face aux inégalités extrêmes et aux tentations sécessionnistes des territoires. Il estime qu’il faut d’abord repenser les villes. La France, dans une Europe pouvant devenir une sorte de colonie numérique, a des atouts. Notamment celui de ressembler à une grande métropole hexagonale maillée par le TGV et irriguée par les transferts sociaux. Avec ses périphéries pas forcément aussi défavorisées qu’on le dit, mais avec ses pauvres de centre-ville.
Extraits
« Les jeunes des bassins industriels vieillissants et les jeunes urbains créateurs de start-up vivent dans des mondes différents. »
« Les plus pauvres et les nouvelles classes moyennes n’accepteront jamais de renoncer à un certain rattrapage. L’industrie manufacturière a, de ce point de vue, un avenir radieux. »
« L’enjeu pour un pays donné n’est pas, comme on l’entend souvent, de multiplier les emplois non délocalisables, mais au contraire d’attirer et de fixer le plus possible d’emplois potentiellement délocalisables. »