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© Malchev - adobestock
Il y a deux ans, personne ne parlait d’administration libérée, à l’exception des expériences des ministères belges de la Sécurité sociale et des Transports. Aujourd’hui, ce modèle inspire les dirigeants du secteur public, y compris les DRH des grandes collectivités.
L’appel récent de Johan Theuret, président de l’Association des DRH des grandes collectivités, à une révolution managériale témoigne de cette nouvelle porosité avec les grands principes. Mais le modèle de l’entreprise libérée interroge l’organisation hiérarchique et bureaucratique des collectivités, qui voit s’opposer plusieurs logiques organisationnelles.
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Logique de confiance versus logique de contrôle
Le modèle de l’entreprise libérée part du postulat que les contrôles mis en place dans les organisations hiérarchiques sont plus coûteux que de laisser les individus s’organiser et décider par eux-mêmes de ce qui est adapté pour répondre aux objectifs de l’organisation. Mais il impose aussi une vision claire de la raison d’être de l’entreprise, alors que les administrations publiques sont encore largement imprégnées du modèle wébérien de la bureaucratie, de règles et de procédures qui encadrent fortement l’activité au travail.
Dans cette culture administrative du contrôle, la confiance a du mal à exister comme postulat des relations entre les personnes.
Logique de responsabilité : pouvoir d’agir versus culpabilité ?
Autre postulat de l’entreprise libérée : la liberté et la confiance impliquent des salariés un haut niveau de responsabilité, entendu comme pouvoir d’agir dans un cadre déterminé, fixé au regard de la raison d’être de l’entreprise.
Cette approche de la responsabilité est source de nombreux malentendus dans les collectivités, car elle renvoie à la culpabilité, voire à la faute. Le fonctionnement hiérarchique, où se superposent plusieurs niveaux de décisions, conduit à une dilution de la responsabilité et à des postures d’évitement : « c’est le chef qui est responsable », sauf qu’on ne sait plus de quoi !
Le management public territorial se questionne, cherche de l’inspiration pour être en phase avec les évolutions sociétales
Logique d’égalité intrinsèque versus logique hiérarchique
Enfin, l’entreprise libérée part du besoin d’égalité intrinsèque des individus. L’organisation va devoir y répondre en adoptant des principes tels que la suppression des symboles de pouvoir, qui mineraient la motivation et l’engagement des salariés. L’entreprise Favi a ainsi supprimé le parking destiné à la direction pour donner la priorité au stationnement en fonction des besoins du travail et non de la fonction occupée.
« Le management de la confiance »
« À Vertou, nous menons un projet de transformation de l’accueil en relation avec les habitants, l’école de design de Nantes Atlantique et, bien sûr, les agents. La question est très ouverte : c’est quoi l’accueil rêvé dans une mairie ? Nous arrivons progressivement vers une réalisation où l’aménagement de l’espace, le prototypage du mobilier et la formation du personnel sont autant de prérequis indispensables. Sans management de la confiance, nous n’y serions pas parvenus »
On voit vite les limites de cette approche dans les collectivités, qui entretiennent encore largement l’octroi d’avantages, accessoires de la rémunération, comme autant d’éléments de pouvoir. Cette culture administrative (mais aussi du secteur privé) relève d’une culture française du statut social, alors qu’au Danemark, pays qui affiche un haut niveau de confiance dans la société, la très forte égalité dans les rapports au travail alimente un cercle vertueux de liberté, de confiance et de responsabilité.
De nouvelles pratiques qui bousculent
Pourtant, le management public territorial se questionne, cherche de l’inspiration pour être en phase avec les évolutions sociétales, plus horizontales. Isaac Getz constate le désengagement des salariés.
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Dans les collectivités, malgré l’attachement aux missions de service public, la contestation monte contre la perte croissante de sens dans le travail, le manque de reconnaissance, les modes de management qui ne laissent pas assez de place à l’initiative des agents. De même, les citoyens demandent plus de transparence dans les relations entre les usagers et l’administration, une meilleure écoute de la demande citoyenne et, de plus en plus, une coconstruction élus-citoyens-agents de l’action publique. Les budgets participatifs, civic tech, design thinking questionnent le fonctionnement hiérarchique des collectivités.
Dans ce mélange d’inspirations des principes de l’EL et de culture administrative empreinte de défense du statut social, de procédures et de contrôle, peut-on imaginer des collectivités qui franchiraient le pas ? Jusqu’où pourraient-elles aller ?
« Je me suis toujours appuyé sur des agents-vigies »
« Depuis le début de l’année, j’ai instauré des rencontres DGS. Je vais au-devant des agents sur leur lieu de travail pour discuter avec eux. La seule contrainte que j’impose est de ne pas aborder des problèmes personnels et d’en rester aux seuls aspects collectifs. Je me rends compte que la démarche est appréciée et que la parole se libère. Ce qui menace ma fonction, c’est le syndrome de la tour d’ivoire. Dans mon parcours de DGS, j’ai toujours privilégié ce contact avec les agents, j’avais même nommé des agents-vigies invités à me remonter des problèmes organisationnels pour essayer d’y faire face au plus vite. Le tout dans un contexte, bien entendu, de transparence complète et dans le but d’améliorer le bien-être au travail ».
Pierrick Lozé, DGS de la communauté d’agglomération du Mont Saint-Michel