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La règle et l'usage
« Il n’y a pas d’antinomie entre le statut et le management. Ce sont deux questions bien distinctes, considère de son côté Didier Ostré, DGS de Bondy. Le statut n'empêche pas de manager comme on le souhaite. Il pourrait y avoir besoin parfois de plus de souplesse comme sur les examens professionnels ou le concours pour éviter les reçus/collés par exemple. Mais on ne peut pas opposer les deux. La révolution est en marche et nous n'avons rien à envier au secteur privé ».L'outil est bon, son usage semble en revanche poser davantage de problèmes. « Il renvoie à des pratiques très différentes, analyse Jean-Robert Jourdan. Le statut est relativement large et souple et nous permet de travailler. Beaucoup repose sur la façon dont nous faisons vivre ce cadre juridique. À nous de nous en saisir ». Il apporte « plus de points positifs que de points négatifs », partage Olivier Ducrocq, directeur général du centre de gestion du Rhône. Quand le statut est pris comme prétexte c'est qu'il y a une « insuffisante connaissance du statut ou alors un manque de courage. Le statut permet de faire plein de choses ».La gestion des carrières plus souple qu'il n'y paraît
Le statut est-il contradictoire avec une véritable gestion des ressources humaines ? Rigide, il ne réduit pas pour autant toute GRH au point zéro. Les employeurs publics peuvent avoir des « logiques substantiellement différentes », défend Jean-Robert Jourdan, avec par exemple, au sein de la même organisation, la coexistence d'un système de promotion interne fondé sur l'ancienneté et d'une politique de promotion volontaire des agents donnant toute satisfaction dans la manière de servir le service public.« Le statut laisse des latitudes en matière d'avancement de grades. Une collectivité peut fixer des ratios si elle le souhaite », renchérit Francis Corpart. Les collectivités seraient quelque part maîtresses de leurs propres marges de manœuvre. Pascal Fortoul estime ainsi que les critères qualitatifs pour l'avancement de grade « sont trop peu utilisés », les collectivités préférant souvent « mettre en place des systèmes plus « automatiques, selon son constat. À nous d'utiliser ces critères qualitatifs ».Certains agents auraient aussi intérêt à prendre leur carrière en main. « Le concours est un outil extraordinaire pour le déroulement de carrière, avance Olivier Ducrocq. Le statut n'est plus bloquant sur les quotas d'avancement de grade. Mais, un agent doit accepter de passer un concours ou un examen professionnel » pour voir son salaire augmenter.La promotion interne et la mobilité mal loties
En revanche, le statut continue de contrarier certaines politiques de promotion interne, notamment en raison des quotas particulièrement bloquants pour les changements de catégorie. « Mais il donne aussi du courage à l'élu local pour ne pas dire oui à tout le monde », défend Olivier Ducrocq. Et empêche ainsi « une fuite en avant » pour la masse salariale, ajoute Francis Corpart.Sur un autre registre, la dimension paritaire de la promotion interne reste pour certains « difficile à gérer même quand il y a des critères objectifs, constate un autre directeur. Certains agents attendent plusieurs années tandis que d'autres avancent plus vite. Ces situations donnent l'impression qu'il est plus facile de progresser quand on est dans les petits papiers des élus ou des syndicats. Il y a un côté un peu obscur ». Mais difficile d'imaginer l'abandon du paritarisme...Le statut s'accorde également assez mal avec la mobilité des agents : en interne au sein d'une collectivité, en externe ou inter-fonctions publiques, certaines barrières entravent le mouvement professionnel des agents. « Le fait de raisonner en filières ne facilite pas la mobilité des carrières. Il faut aller chercher d'autres instruments pour l'organiser. Le fait que les régimes indemnitaires soient aussi très différents complique encore les choses, constate Jean-Robert Jourdan. À titre personnel, je verrais bien dans la carrière des catégories A une notion de principalat qui serait ouverte à l'ensemble des filières de la fonction publique territoriale. Un tel système permettrait des déroulés de carrières de personnes issues de différents métiers (techniques, administratifs, relevant de la gestion ou du social...) de prendre des fonctions managériales. Aujourd'hui, nous avons des agents avec des traitements différents du fait de leur origine professionnelle alors qu'ils exercent au bout d'un certain temps des métiers relativement proches ».Les collectivités préfèrent des systèmes automatiques. À nous d’utiliser des critères qualitatifs
Une parité avec l'État mal adaptée
L'organisation même de la fonction publique pose problème. « La parité avec l'État n'est parfois pas adaptée. On ne peut pas traiter la mobilité de la même façon à ce niveau où il y a des logiques d'affectation et un employeur unique ou dans la FPT qui compte 55 000 employeurs. L'État a énormément de postes, une collectivité en dispose au mieux d'un millier : les possibilités sont infiniment moindres », résume Jean-Laurent NGuyen Khac. Cela a des conséquences sur le statut pour lequel le système est basé sur la carrière plutôt que l'emploi. On a besoin de règles minimales qui peuvent être un frein à la gestion RH car elles se surajoutent aux capacités managériales ou elles ne sont pas adaptées ».Sécurisant pour l'agent qui ne perd pas ses acquis, le statut peut enfin engendrer sur la carrière des effets parfois contraires au but recherché. En cas d'incident comme une suppression de poste, l'agent est pris en charge par le CDG ou le CNFPT qui va le payer. La collectivité rembourse ensuite de manière dégressive. « Il peut y avoir des dérives, constate Jean-Laurent NGuyen Khac. Les agents dans ce cas sont souvent suspects aux yeux des employeurs. Ils ont donc plus de difficultés à retrouver un poste. Ou alors ils sont sur des métiers rares pour lesquels ils est difficile de trouver un poste ».Rémunération : des outils à développer
Les règles relatives à la rémunération, malgré une grille indiciaire contraignante, offrent diverses possibilités, loin d'être toutes utilisées. Cela concerne aussi bien la définition du montant que le lien potentiel entre le régime indemnitaire et l'évaluation du travail de l'agent. « Le régime indemnitaire peut être déconnecté des grades et des filières », rappelle Pascal Fortoul. S'il montre quelques « limites, cadre d'emplois par cadre d'emplois, il permet aussi d'avoir des logiques comme la rémunération au mérite par rapport à la situation objective de l'agent ou de la réussite collective. Les collectivités font des choix de privilégier tel ou tel levier », complète Jean-Robert Jourdan, exemple à l'appui : le conseil général du Nord a ainsi fait le choix de ne pas appliquer la PFR.Les limites proviennent alors davantage des moyens de chaque collectivité
Primes et action sociale
Les primes apportent également quelques souplesses pour Olivier Ducrocq. « Nous ne sommes jamais au plafonnement de ces primes », éclaire-t-il. En outre les collectivités « peuvent maintenant participer à la protection sociale complémentaire de leurs agents jusqu'à 100 %. Le statut n'est plus bloquant ». Existe aussi le levier de « l'action sociale, à travers les subventionnements d'associations du personnel, les chèques vacances, les titres restaurants qui permettent d'améliorer le niveau de vie des agents ». Les limites proviennent alors davantage des moyens de chaque collectivité. Libres de fixer leur régime indemnitaire, les collectivités se retrouvent parfois dans des situations difficiles lorsque les voisines disposent d'un régime plus avantageux.Les remboursements de frais constituent également un autre problème. « Nous n'avons pas les outils pour payer par exemple le surplus d'assurance lors de l'usage d'un véhicule. Le remboursement des frais d'hôtel en cas de déplacement ne couvre pas la totalité réellement engagée par l'agent », déplore Olivier Ducrocq. L'interdiction absolue de donner plus a des conséquences sur l'accompagnement de la mobilité externe pour le DG du CDG du Rhône. « Un agent qui déménage paie très cher sa mobilité. Le déménagement n'est remboursé que partiellement, et sous certaines conditions. Il n'y a aucune aide pour le conjoint ou l'école des enfants comme cela existe dans le privé. Cela n'incite pas la mobilité des catégories C et B ».Le concours place la FPT « en queue de peloton » des différents marchés de l’emploi
Des recrutements compliqués
Le concours garantit l'égal accès des citoyens à la fonction publique. Il est aussi « un beau garde-fou par rapport aux pouvoirs locaux », défend Olivier Ducrocq. Le concours ne concerne que 10 % des agents primo-accédants. Les catégories C accèdent directement et il y a une hausse exponentielle du recours aux contractuels. Le statut n'est donc pas un frein particulier au recrutement ». Si l'on n'a pas trouvé mieux pour répondre à cet impératif, le statut gêne cependant les recrutements dans certains cas particuliers (informatique, médecins...). « On a le sentiment que le statut est un handicap lorsque l'on veut recruter sur certains métiers tendus, notamment des salariés issus du privé », reconnaît Pascal Fortoul. Pour Jean-Laurent NGuyen Khac, le concours a pour effet de placer la FPT « en queue de peloton » au regard des différents marchés de l'emploi. « Le privé recrute sur entretien, l'État propose davantage de postes. Ceux qui passent les concours y sont plus assurés de trouver un emploi. Dans la FPT, les collectivités ne recrutent que si elles veulent, d'où le phénomène des reçus-collés ». Moins attractive car plus incertaine, la FPT attirerait moins les candidats à l'emploi.Autre difficulté pour Jean-Robert Jourdan, « les grandes collectivités, du fait du statut, ont de plus grandes facilités que des collectivités avec des strates démographiques plus faibles. Celles-ci ne sont pas en mesure de rémunérer, ni de recruter certains grades » comme les administrateurs, attachés principaux ou les directeurs territoriaux. Or certaines auraient bien besoin de pouvoir recruter de tels agents.La carence en management
Statut et management ne riment pas (encore ?). Mais l’un vient au secours de l'autre. « Les règles servent à pallier les carences humaines dans le management pour garantir une continuité de carrière quelle que soit l'unité de temps et de lieu. Comme on ne sait pas dire non sans démotiver les gens, une règle limite le régime indemnitaire. Il y a des quotas pour la promotion interne, sinon tout le monde serait promu. Cela dévalorise le grade, estime Jean-Laurent NGuyen Khac. Un manager n'a pas besoin de beaucoup de règles. Il sait évaluer les agents et n'a pas besoin qu'on lui dise ».Le problème se situe donc ailleurs pour le DG du CIG Versailles : « On manque cruellement de managers. Le système de la carrière ne permet pas d'en avoir ». Monter en grade ne signifie pas obligatoirement posséder les compétences pour être un bon manager. Le statut vient alors « guider le manager débutant. Il y a tellement de règles qu'il ne peut pas sortir des clous ».Plus des techniciens que des managers
Les encadrants n'ont « pas assez de culture du dialogue social, confirme Laurence Rosazza-Riz. Ils sont davantage des techniciens que des managers. Il y a dans le public souvent un complexe d'infériorité par rapport au privé sur les leviers managériaux. Mais lorsque je prends la mairie de Bordeaux avec 4 300 agents et 150 métiers, les processus y sont les mêmes que dans une entreprise de 4 300 personnes », constate-t-elle. Trop de managers n'osent pas recadrer ou exiger un certain niveau de travail de leurs collaborateurs, selon la DRH de Bordeaux. « Il y a encore trop de managers qui ont presque peur de passer un ordre direct, de sanctionner ou de rappeler à l'ordre lorsque le travail n'a pas été correctement exécuté. La culture de la sanction est beaucoup trop faible. À l'inverse, on ne sait pas féliciter. Beaucoup ne savent pas non plus gérer les conflits ». Or les leviers existent pour Laurence Rosazza-Riz : régime indemnitaire, notation, avancement...Le statut n’interdit pas de sanctionner ni de promouvoir ou de valoriser
Beaucoup n'osent pas
Et pour ceux qui se cachent derrière le statut pour ne pas faire ? « C'est un alibi, rétorque Didier Ostré. Le statut n'interdit pas de sanctionner ni de promouvoir ou de valoriser ». Le statut offre tout un panel de sanctions, acquiesce Pascal Fortoul, mais « est-il utilisé à bon escient, interroge-t-il. A-t-on toujours le courage d'appliquer une sanction qui existe ? Beaucoup d'entre nous n'osent pas ou ne sont pas en capacité de le faire. Ce n'est pas une question de statut mais de courage. Les interférences entre le politique et l'administration ne favorisent pas un véritable management. Elles peuvent miner un processus managérial cohérent ». Car même large, l'éventail de sanctions n'est « pas simple à mettre en œuvre, renchérit Olivier Ducrocq. Souvent l'employeur ne le connaît pas ou ne sait pas s'en servir. La baisse d'une prime n'est pas une sanction disciplinaire ». L'employeur public est peut-être « un employeur social, mais cela ne signifie pas qu'il soit un employeur laxiste », souligne Laurence Rosazza-Riz.Les temps commencent cependant à changer. Les collectivités cherchent peu à peu à combler les carences en management de certains cadres pourtant lauréats du concours et ou issus de grandes écoles. Bordeaux a par exemple changé sa manière de recruter. La mairie privilégie la capacité à manager dans le choix de ses personnels encadrants. Strasbourg, quant à elle, accompagne ses managers déjà présents dans son administration par la formation et le coaching. Elle est aussi en train de mettre en place une école de management.