Une privatisation miracle pour les TER

Stéphane Menu

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Une privatisation miracle pour les TER

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Le réseau ferroviaire français flanche au mauvais moment : à l'heure où les TER connaissent des pics de fréquentation, la SNCF et les régions ne peuvent plus faire face au succès. Les usagers misent sur l'ouverture à la concurrence pour dynamiser l'offre. L'ARF préconise plutôt un réinvestissement financier de l'État.
La puissante Fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT) est inquiète. Elle a décidé de monter au créneau pour défendre les TER, trains régionaux exploités par la SNCF et financés par les régions. À ses yeux, l'avenir des TER s'écrit en pointillés : si le trafic connaît une forte croissance, il serait menacé par la dégradation progressive des infrastructures et les difficultés financières que connaîtront fatalement les Régions à la suite de la réduction des dotations de l'État.La FNAUT anticipe même le scénario : certaines lignes sont actuellement remises en cause et pourraient être remplacées par des services d'autocars.

Privé égale « cercle vertueux » ?

Elle propose donc d'ouvrir le secteur à la concurrence, en s'inspirant des contrats de délégation de service public déjà en vigueur dans le transport urbain (à savoir le métro, le bus ou encore le tramway). Pour son président, Jean Sivardière, une telle ouverture « permettrait d'amorcer un cercle vertueux ». Pour renforcer son argumentaire, l'association se réfère à une étude réalisée par plusieurs cabinets de conseils (Beauvais Consultants, KCW et rail Concept). Cette dernière établit clairement les avantages d'une ouverture au privé. « On confond trop souvent coût d'exploitation de la SNCF et coût intrinsèque du TER », assure Jean Sivardière.
On confond trop souvent coût d’exploitation de la SNCF et coût intrinsèque du TER
L'étude a planché sur deux scénarios. Le premier s'appuierait sur une réduction de 10 % des charges qu'un exploitant, concurrent de la SNCF, mettrait en œuvre. Le deuxième se déploierait sur une réduction de 30 % des coûts. Conséquence : le premier scénario permettrait de dégager une recette supplémentaire de 101,8 millions d'euros qui serait utilisée pour augmenter l'offre afin de parvenir à une hausse de 12 % de la fréquentation. Le deuxième favoriserait un gain de 50 % de fréquentation pour une recette supplémentaire de 367,4 millions d'euros. Le « cercle vertueux » entraînerait des économies d'énergie et une réduction significative des émissions de CO2, le trafic supplémentaire impactant sur celui des automobiles. Pour réduire les coûts des TER, les cabinets de conseils brisent quelques tabous : polyvalence du personnel, augmentation du temps de conduite, billettique embarquée...

Le gouvernement n'expérimentera pas

Jean Sivardière n'ignore pas que de telles hypothèses se heurtent à la résistance des élus. « Les présidents de région sont extrêmement violents à l'égard de la SNCF qui exploite ces lignes. Pourtant, il n'est pas question pour eux de faire appel à la concurrence ». Quoi qu'il arrive, la France devra peu à peu se pencher sur l'ouverture à la concurrence. Le calendrier européen lui impose en effet l'année 2019 pour achever le chantier de l'ouverture à la concurrence dans le transport ferroviaire.En juin dernier, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait proposé qu'une première phase, fondée sur le principe du volontariat, soit lancée en 2015 dans les régions volontaires, entre trois et six. Mais le gouvernement ne semble pas pressé de s'engager dans cette voie. « Nous n'allons pas nous soumettre à des obligations qui n'existent pas », avait alors répondu le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier. « Cette saisine du CESE émanait du précédent gouvernement dans une logique d'ouverture rapide à la concurrence, et cette perspective n'est pas forcément la nôtre ».
Les présidents de région sont extrêmement violents à l’égard de la SNCF mais ne veulent pas faire appel à la concurrence
Thierry Lepaon (CGT), rapporteur du volet social de l'avis du CESE, avait rappelé que ce dernier n'était qu'une réponse à une requête de Nathalie Kosciusko-Morizet lorsqu'elle était ministre des Transports. « C'est au gouvernement de décider si cela vaut le coup de tenter cette expérimentation », avait-il dégagé en touche. Président de l'Association des régions de France (ARF), Alain Rousset, tout en reconnaissant que le monopole de la SNCF présentait des lacunes, avait rappelé que les collectivités régionales n'étaient « pas demandeuses de cette libéralisation ».

La (très) longue unification du marché ferroviaire européen

La Commission européenne planche depuis... 2001 sur le quatrième paquet ferroviaire, en vue de mettre en place un semblant d'Europe des rails. Deux difficultés majeures rendent les négociations âpres : l'ouverture à la concurrence et la gouvernance du secteur.En octobre, le commissaire en charge des transports, Siim Kallas, a assuré qu'il souhaitait clarifier l'accès aux marchés publics en rendant obligatoire la procédure de l'appel d'offres dans le cadre de la passation de contrats de services publics. Aujourd'hui, il est en effet possible d'opter soit pour l'appel d'offres, soit pour une passation directe de marchés.Le second point de la réforme concerne le « dégroupage », à savoir la possibilité de séparer la fonction de gestionnaires d'infrastructures et celle d'opérateurs ferroviaires. Le paquet ferroviaire prévoit par ailleurs le renforcement du rôle de l'Agence ferroviaire européenne afin de lui attribuer des missions de suppression des barrières liées aux procédures nationales de certification ainsi que l'amélioration de l'interopérabilité d'un réseau national à un autre. Isabelle Durant (Verts), vice-présidente du Parlement européen, s'est opposée au projet, estimant que la libéralisation de ce secteur n'était pas un gage d'amélioration de son efficacité et prônant une certaine flexibilité dans ce choix majeur pour chaque État.

L'ARF en appelle au réengagement de l'État

L'ARF, de son côté, ne change pas sa position d'un iota. « Bruxelles n'impose pour l'heure aucune ouverture à la concurrence », assure-t-on. Sa référence reste le Manifeste sur le transport des voyageurs, réalisé au début de l'année 2012. « Au-delà de simples lamentations sur la qualité du service offert, les régions esquissent ces derniers mois des propositions concrètes d'actions publiques et tracent des perspectives afin que le secteur ferroviaire retrouve l'ambition et un nouveau destin au service des voyageurs à l'échelle régionale, nationale et européenne », écrit l'association dans l'introduction du document. Le succès du TER « se heurte aujourd'hui à une crise de croissance, le réseau ne pouvant plus absorber de circulations supplémentaires, ni répondre aux attentes et besoins de mobilité des voyageurs ».L'ARF accuse l'État de se désintéresser du développement du rail. « Par manque de vision claire de l'avenir du système, l'État a mené ces dernières années plusieurs réformes qui, juxtaposées, dessinent un paysage où les acteurs se sont multipliés et où les compétences sont inextricablement mêlées sans que le voyageur y trouve réellement sa place ». Par conséquent, l'association liste ses priorités : une régionalisation de la gouvernance, un assainissement du financement, une clarification du rôle des acteurs, ou une meilleure promotion d'une politique européenne du rail... sans se jeter sans précaution dans les bras du privé. Entre les États européens et la Commission européenne, le jeu du chat et de la souris risque de se prolonger encore longtemps.

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