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La vraie question est de savoir si les locataires ciblés ont réellement envie de franchir le pas de l’achat. Comme l’explique Marianne Louis, directrice générale de l’USH, dans l’entretien qu’elle nous a accordé, « deux fois sur trois, ce n’est pas le locataire du logement qui en devient le propriétaire ». L’USH tient la comptabilité sur la vente totale : en 2018, 34 % des locataires habitant dans le logement ont acheté, 24 % ont été cédés à d’autres locataires HLM et 42 % des acheteurs n’étaient pas locataires dans le parc social. De fait, les locataires en place ont souvent des difficultés à acheter, pour des raisons de solvabilité ou parce qu’ils sont trop âgés pour contracter un emprunt.
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Un bailleur syndic de copropriété
L’autre inquiétude pointée par les acteurs du logement social a trait à un risque contenu dans la vente des HLM : la fragilisation de certains immeubles devenus de fait des copropriétés. Avec leur faible budget, les nouveaux propriétaires auront-ils les moyens de payer les charges de leur nouveau bien ?
42 % des acheteurs n’étaient pas locataires dans le parc social
Ne risque-t-on pas de voir se multiplier les copropriétés dégradées alors même que le gouvernement a décidé de tout mettre en œuvre pour endiguer le phénomène ? De plus, des garde-fous ont été posés. La loi Elan (évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) précise les modalités de vente d’un appartement HLM à un particulier, en mettant en place « une application différée du statut de la copropriété ».
TÉMOIGNAGE
« L’État arrivera peut-être à en vendre 15 000, pas plus »
« Depuis le début des années 2000, les aides au logement de l’État ont tendance à baisser. Ce qui oblige donc les bailleurs sociaux à puiser un peu plus sur leurs fonds propres pour financer la réhabilitation et la construction des logements sociaux. Les ressources des bailleurs sociaux, essentiellement locatives, sont affectées par la diminution imposée de ces loyers instaurée par la réduction de loyer de solidarité (RLS), dont la deuxième phase doit être engagée en 2020. Aujourd’hui, 10 000 logements sociaux sont vendus. C’est le double d’il y a dix ans. Certains organismes, comme Hauts-de-Seine Habitat ou Immobilière 3F, ont l’habitude de vendre depuis des années. Mais l’objectif des 40 000 ventes est complètement illusoire. Je situe l’estimation la plus haute à 15 000 ventes, dans le meilleur des cas. Au Royaume-Uni, ce droit d’acheter remonte à Thatcher, 2 millions de logements sociaux ont été achetés, essentiellement des maisons individuelles. Cette politique a été un échec, le Royaume-Uni manque aujourd’hui de logements sociaux pour y loger les familles les plus modestes. Ce qui oblige les bailleurs anglais à en racheter pour étoffer l’offre. »
Jean-Claude Driant, professeur à l’École d’urbanisme de Paris
Concrètement, les organismes de logements sociaux peuvent, s’ils le souhaitent, proposer à l’acquéreur une période de transition qui peut s’étaler jusqu’à dix ans, à partir de la vente du premier lot de l’immeuble, où le nouveau propriétaire n’est pas complètement copropriétaire. Cette période transitoire permettrait à l’acquéreur « de se familiariser avec le régime juridique de la copropriété, sans être soumis à certaines de ses contraintes, notamment financières », peut-on lire sur le site du gouvernement. « D’autre part, l’organisme HLM assurera seul la gestion des parties communes de l’immeuble, sans avoir à appliquer les règles relatives à la copropriété. Ainsi, il assumera seul la charge financière des gros travaux de l’immeuble, tandis que sa gestion sera simplifiée ».
Les bailleurs sociaux voyaient plus d’inconvénients que d’avantages à se séparer de leur parc de logements
Une vente égale plus de loyers
Jusqu’à ce jour, les bailleurs sociaux voyaient plus d’inconvénients que d’avantages à se séparer de leur parc de logements.
« Ce patrimoine rapporte de l’argent, surtout quand les crédits ont été remboursés. Pourquoi s’en séparer ? », précise Jean-Claude Driant, professeur d’urbanisme. Mais, depuis 2017, la dette financière imposée aux bailleurs sociaux, obligés de puiser dans leurs ressources, a changé la donne. La motivation des 71 organismes qui ont rejoint l’ONV mise en place par Action Logement relève sans doute de cette préoccupation financière.
EN SAVOIR PLUS
Dans un article publié en novembre dernier, La Lettre du cadre faisait un point sur le dispositif de report du transfert de la copropriété. En voici un extrait.
"Parties communes : découper pour mieux vendre
Parmi les nombreuses mesures d’adaptation et de simplification, l’une d’elles vise à autoriser une clause au contrat de vente par un organisme HLM à une personne physique d’un logement situé dans un immeuble destiné à être soumis au statut de la copropriété, cette clause permettant de « différer le transfert de propriété de la quote-part de parties communes à l’acquéreur jusqu’à l’expiration d’une période ne pouvant excéder dix ans à compter de la dernière de ces ventes intervenues dans l’immeuble, en prévoyant la possibilité d’une décote du prix de vente ».
Concrètement, il s’agit pour les organismes HLM propriétaires d’immeubles de logements locatifs sociaux, de proposer à la vente un ou plusieurs logements en accession, tout en maintenant un statu quo temporairement s’agissant des modalités de gestion immobilière. L’ordonnance n° 2019-418 du 7 mai 2019 « relative à la vente de logements appartenant à des organismes d’habitations à loyer modéré à des personnes physiques avec application différée du statut de la copropriété » a ainsi introduit huit nouveaux articles au sein du code de la construction et de l’habitation, organisant ce transfert différé (art. L.443-15-5-1 à L. 443-15-5-8).
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