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© andrea lehmkuhl - adobestock
Article publié le 10 octobre
Depuis le début du mois de septembre 2018, il ne se passe pas une semaine sans qu'il soit annoncé une réforme, un projet de loi, un plan, le tout intégré parfois, ou pas, dans le projet de la loi de finances 2019.
Le chef de l’État a tenu à montrer sa détermination à soutenir une politique sociale en présentant lui-même son « Plan pauvreté ». Si ce plan se décline dans différents secteurs : emploi, jeunes, santé, petite enfance, école… force est de constater que le volet « logement » a été ignoré. Par ailleurs, il mobilise moins de crédits qu’annoncé, puisque certaines aides et prestations existent déjà. Il s’est plutôt agi d’annoncer un plan de redéploiement, de réorganisation et de conditions d’attribution de certaines d’entre elles que de financer de nouvelles mesures.
Le RMI et le RSA prévoyaient aussi des volets essentiels à la réinsertion des personnes les plus éloignées de l’emploi
En ce qui concerne l’emploi, le revenu universel d’activité (RUA), dont le contour reste d’ailleurs à définir, comportera des droits et des devoirs. Mais rappelons-nous que le RMI et le RSA prévoyaient aussi ces deux volets essentiels à la réinsertion des personnes les plus éloignées de l’emploi.
8, 8 millions de pauvres, pas de débat sur la pauvreté
En matière de santé, de nombreuses communes s’étaient déjà largement engagées à aider les personnes les plus vulnérables en leur offrant des « complémentaires santé ». Pour la petite enfance non plus, les collectivités n’ont pas attendu les recommandations de l’État pour développer des modes de garde très diversifiés en faveur des familles en difficulté. Les études des besoins engagées par les CCAS depuis des années avaient bien pointé du doigt toutes ces préoccupations.
14 % de la population est considérée comme pauvre selon les chiffres publiés par l’Insee
Aujourd’hui, les associations caritatives et les collectivités s’inquiètent du manque de débat sur un plan qui touche près de 8, 8 millions de personnes en situation de pauvreté ! Rappelons qu’en 2016, 14 % de la population était considérée comme pauvre selon les chiffres de l’Insee. La pauvreté (sont considérés comme pauvres ceux qui perçoivent moins de 1 026 euros par mois) touchait 19,8 % des moins de 18 ans, 38,3 % des demandeurs d’emploi, 6,4 % des salariés et 34,8 % des familles monoparentales. Qu’il soit jeune ou pas, comment un demandeur d’emploi peut-il se présenter chez un employeur potentiel s’il n’a ni domicile, ni moyen de transport pour rejoindre son entreprise ?
Si des milliers d’emplois ne sont pas pourvus sur des secteurs parfaitement ciblés (l’hôtellerie, la restauration, le bâtiment…), il ne suffit pas, pour ces populations les plus fragilisées par leur vécu antérieur, de « traverser la rue » pour trouver le travail qui leur permettra d’intégrer ou de réintégrer une société qui les exclut depuis des années ! Il faut se rendre compte que, pour certains qui cherchent un travail, des mois d’errance et de galère ont brisé leur cycle normal de vie. Ils peinent à se lever le matin et ont perdu souvent leurs repères, les réalités de la vie, parfois leur propre identité !
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Réorganiser durablement le monde de la santé
Quant au « système de santé », depuis plus de 30 ans, les professionnels de santé, les collectivités territoriales et les associations professionnelles demandaient une réforme profonde du secteur. Ces dernières années, une pénurie durable d’infirmières d’abord, puis de médecins, empêchait souvent l’ouverture de certains services de soins, notamment en direction des personnes âgées et des personnes handicapées pour les emplois d’infirmières.
Fallait-il autant d’années de réflexion sur notre système de santé pour en arriver là ?
Quant à la pénurie de médecins, les « déserts médicaux » sont une réalité des communes les plus éloignées des territoires urbains, même si certains départements avaient en leur temps développé des politiques attractives pour faire venir sur leur territoire de jeunes médecins fraîchement sortis des facultés. Aujourd’hui, le numerus clausus va être supprimé, mais a-t-on mesuré le temps qu’il faudra pour une réorganisation durable du monde de la santé lorsque l’on connaît le nombre d’années d’étude de médecine ?
Il est indispensable que des soins d’urgence soient effectués par les médecins libéraux afin de soulager les services d’urgence des hôpitaux largement saturés, ce qui provoque souvent la colère et la violence de certains patients. Enfin les postes d’assistants médicaux devraient permettre de décharger les médecins pour les actes les plus simples. Mais fallait-il autant d’années de réflexion pour en arriver là ? Et combien seront ces assistants médicaux ? Où seront-ils formés ?
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Des années d’efforts pour les cotisants
Quand on a dressé le bilan financier de ces deux plans prioritaires, on est surpris de constater que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale enregistre, lui, un excédent de 700 millions d’euros après 17 années de déficit ! Et durant toutes ces années, le montant des cotisations n’a cessé d’augmenter… Les gouvernements successifs ont demandé des efforts, particuliers et soutenus, aux cotisants en vue de réduire ces déficits !
Le relèvement de la CSG concerne près de 17,2 millions de personnes retraitées de droits directs ou dérivés
Aujourd’hui et en même temps, on a supprimé la taxe d’habitation pour une certaine catégorie de la population alors qu’une large fraction de la population retraitée s’inquiète du relèvement, à effet immédiat, de la CSG. Rappelons que cette mesure concerne près de 17,2 millions de personnes retraitées de droits directs ou dérivés. Cette initiative prise à la hâte sans réflexion et sans concertation avec les représentants de cette tranche de population ne sera pas sans conséquences électorales !
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Un profond vent de mécontentement
Au même moment, ce mécontentement profond s’accompagne d’un vent de fronde des élus locaux contre de l’exécutif. Un millier d’élus locaux – maires, présidents de conseil départemental et régional – réunis le 26 septembre au Congrès des régions ont rappelé au Premier ministre qu’ils n’étaient pas des « opérateurs de l’État » mais des élus issus du suffrage universel. S’ils acceptent, sur le principe, de s’engager sur la voie des réformes, ils demandent unanimement que les transformations de la France reposent sur les compétences partagées État-collectivités.
Les différents volets de la décentralisation ont depuis plus de 30 ans largement perturbé la responsabilité et les champs de compétence des collectivités. On a confié le RMI, le RSA, puis l’APA, aux départements, les lycées et la formation professionnelle aux régions oubliant d’assurer au fil des années l’intégralité de la compensation financière.
Le lien distendu entre les élus de terrain et les opérateurs de l’État risque de conduire à une certaine paralysie de l’action publique
Aujourd’hui, l’État souhaite recentraliser certaines politiques sociales et économiques et reprendre en gestion directe certaines compétences attribuées aux collectivités. Il n’est pas certain dans ce contexte de blocage et de désaccord que la Conférence nationale des territoires qui doit se tenir le 15 octobre suffise pour renouer le dialogue avec l’exécutif.
Ce lien distendu entre les élus de terrain issus du suffrage universel et l’État risque de conduire à une paralysie de l’action publique. Les élus locaux savent que les politiques d’austérité, de réformes non concertées, engendrent des inégalités sociales formant un terreau peu propice à une évolution maîtrisée de la société. Certains pays européens en ont déjà subi les frais et les prochaines élections européennes risquent de voir émerger les mouvements « antisystème ».
Il est donc urgent que chacun réagisse avec les responsabilités qui sont les siennes afin de maintenir la paix sociale, fondement indispensable à l’évolution des politiques publiques.