Yves Roquelet : « La réorganisation territoriale impose de nouveaux modes de contrôle »

Stéphane Menu

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Yves Roquelet : « La réorganisation territoriale impose de nouveaux modes de contrôle »

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© syndicat des juridictions financières

Le Syndicat des juridictions financières unifié, réuni en congrès en novembre à Paris, fait un double constat : la forte disparition des organes locaux de contrôle et le caractère toujours indispensable de ce contrôle. Son président présente des propositions pour restaurer la confiance et aider le monde local dans sa gestion.

Quels ont été les grands axes de votre congrès ?

Nous avons voulu prendre du recul sur le thème, essentiel pour notre société, de la confiance et de la performance de l’action publique et de la manière dont les chambres régionales peuvent contribuer à le renouer. Le contrôle des gestions locales et des ressources publiques constitue par principe une mission régalienne. Nous avons rédigé en avril 2018 un livre beige, intitulé les « Cinq propositions pour le citoyen et la performance de l’action publique », qui fixe le cap de notre action.

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À quel type de difficultés vous frottez-vous ?

Nous sommes au bout de la chaîne des évolutions qui transforment le monde local. Les réformes budgétaires, financières et organisationnelles impactent directement notre organisation. Nous avons l’intime conviction que les choses doivent évoluer parce que le contrôle organique, impulsé auprès du seul ordonnateur, ne suffira plus à rendre la réalité de l’organisation territoriale. Les politiques publiques n’impliquent plus une seule collectivité mais se déploient dans des partenariats, des mutualisations ou des transferts multiples de compétences et de moyens.

Le contrôle organique, impulsé auprès du seul ordonnateur, ne suffira plus à rendre la réalité de l’organisation territoriale

La montée en puissance des intercommunalités et la réorganisation des territoires entraînent de nouveaux modes de contrôle. À quoi cela sert-il de contrôler verticalement une collectivité elle-même investie dans un maillage relationnel avec d’autres collectivités ? Nous appelons également de nos vœux une modification assez profonde des régimes de responsabilité des gestionnaires locaux, qu’il s’agisse de celui du comptable public, ou de l’intervention peu satisfaisante de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).

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Il est rare de voir les magistrats sortir autant de leur réserve…

Les chambres régionales des comptes publient beaucoup de rapports, mais leurs magistrats s’expriment rarement sur les moyens d’améliorer l’efficacité et l’utilité de leur métier. Nous avons conduit, depuis deux ans, un gros travail de réflexion dont notre Congrès a été l’aboutissement. Nous partons d’un constat unanime : le bon emploi des deniers publics et sa transparence sont incontournables dans un contexte budgétaire contraint. Or, les autres contrôles d’État ont quasiment disparu du fait d’économies budgétaires ou de restructurations qui ont prioritairement concerné le contrôle dans les territoires : préfectures, trésoreries, conseils, etc. Les collectivités locales, et notamment les petites et moyennes, ont pourtant besoin d’un meilleur accompagnement pour mieux gérer leurs finances qui deviennent de plus en plus contraintes et appliquer une réglementation dont la complexité n’a pas été réduite par les politiques successives de simplification administrative. Beaucoup sont dans l’incapacité financière de missionner des cabinets d’audit dont la connaissance de la gestion publique locale est parfois très variable.

Les autres contrôles d’État ont quasiment disparu du fait d’économies budgétaires ou de restructurations qui ont prioritairement concerné le contrôle dans les territoires

Lors de nos contrôles, nous constatons souvent que nous sommes le dernier rempart, le dernier interlocuteur pour faire corriger une irrégularité, proposer des solutions face à une gestion budgétaire hasardeuse ou tout simplement accompagner par recommandation les élus locaux dans leurs décisions. Nous voulons passer un message clair : nous souhaitons renforcer et moderniser le niveau local de contrôle du bon emploi de l’argent public, indispensable dans une République décentralisée. Nous pensons que cela va dans le sens de l’Histoire. Le gouvernement a d’ailleurs récemment annoncé qu’il souhaite poursuivre la suppression des contrôles a priori qui pèsent sur l’action publique, pour accroître sa réactivité, et y substituer des contrôles a posteriori.

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Vos revendications sont-elles portées par la Cour des comptes ?

La Cour des comptes perçoit ces difficultés mais adopte une approche très globale. Elle dresse un tableau général, « moyennisé » de la situation financière des collectivités locales et de certaines de leurs politiques.

Cet exercice est indispensable au pilotage et à la transparence des finances publiques françaises au sens large mais bloque le principe indispensable d’une approche différenciée, adaptée aux échelles des territoires. Or, les enjeux des politiques et des services publics diffèrent d’une station balnéaire basque à une commune de montagne, d’un bourg rural de Lozère à une ville moyenne ou une banlieue défavorisée. Il est parfois difficile de cerner ces spécificités et leurs contraintes depuis Paris.

Notre message est clair : nous souhaitons renforcer et moderniser le niveau local de contrôle du bon emploi de l’argent public

La Cour des comptes mobilise 30 à 40 % des forces productives des chambres régionales pour alimenter ses propres travaux, à travers des processus d’ailleurs assez peu concertés et finalement peu efficients.

Ce sont autant de moyens qui manquent in fine à nos propres missions, programmées après une analyse circonstanciée des enjeux et des risques locaux et adaptés aux réalités des collectivités. Nous avons certes su absorber, à moyens constants depuis 1983, la professionnalisation de la gestion publique locale et les nouvelles missions confiées par le législateur, mais un tel prélèvement de ressources compromet notre capacité à couvrir des territoires plus grands que bien des États et à réagir avec efficience aux enjeux locaux.

Président du Syndicat des juridictions financières unifié (SJF), Yves Roquelet est aussi président de section à la chambre régionale des comptes Aquitaine depuis juin 2017. Il est par ailleurs rapporteur à la Commission nationale des comptes de campagne. Le SJF organisait son congrès à Paris les 15 et 16 novembre 2018 derniers, autour du thème suivant : « La confiance dans la gestion publique, enjeu pour les territoires, ambition pour les chambres régionales des comptes ».

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