Zones de moyenne densité : et si on oubliait la voiture ?

Marjolaine Koch
Zones de moyenne densité : et si on oubliait la voiture ?

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© Mimi Potter - adobestock

En septembre dernier, le think tank The Shift Project rendait public une étude portant sur la décarbonation de la mobilité dans les zones de moyenne densité. Un travail explorant différentes solutions pour se passer au maximum de la voiture, sur des territoires où elle est reine.

Est-il possible de se passer de sa voiture quand on vit à l’écart d’une grande ville ? C’est la question posée par le think tank The Shift Project, dans un rapport d’une centaine de pages réalisé avec le soutien de la Caisse des dépôts et signé Francisco Luciano, ingénieur civil et urbaniste spécialisé dans la mobilité. L’étude se penche sur ces espaces situés entre l’urbain dense et la campagne profonde, cette zone d’entre-deux où, bien souvent, les transports en commun existent, mais n’offrent que des alternatives partielles à la voiture.

Lire aussi : Villes et voitures, le désamour

11 % du territoire, 43 % de la population métropolitaine

Ces zones dites de moyenne densité représentent 11 % du territoire et 43 % de la population métropolitaine. En 2030, un peu plus de 38 millions de personnes devraient y vivre. Et, typiquement, ces zones périurbaines se caractérisent par une spécialisation fonctionnelle de l’espace. Des lotissements, des zones commerciales, des zones industrielles… et la voiture, bien souvent, pour relier ces points entre eux, car les transports urbains sont peu adaptés, trop lents ou trop rares quand ils ne sont pas inexistants. Selon l’Union des transports publics, la fréquentation des réseaux de transports dans les communes de moins de 100 000 habitants se détériore un peu plus chaque année, du fait de l’inadéquation entre l’offre et la demande. C’est aussi dans le périurbain que les émissions de CO2 par habitant liées à la mobilité sont les plus fortes : en France, chaque habitant de ces zones émet 1,6 à 1,8 tonne de CO2 par an. Ailleurs, un habitant émet entre 400 kg et 1,5 tonne.

Les zones de moyenne densité devraient être une cible principale pour atteindre nos objectifs de réduction d’émissions de CO2

La France s’est fixé un objectif de réduction de 29 % de ses émissions dans le secteur des transports d’ici 2028. Les zones de moyenne densité, selon les chiffres cités, devraient donc être l’une des cibles principales pour atteindre cet objectif. De son côté, l’étude se donne l’ambition de faire émerger des propositions d’actions concrètes d’ici 2026, en s’appuyant sur la logique « éviter – transformer – améliorer ». Autrement dit, analyser d’abord les possibilités de réduire les déplacements, puis identifier les opportunités de transfert modal. Enfin, définir les actions à mener qui améliorent l’efficacité énergétique des véhicules.

Enjeu n°1 : réduire ou supprimer les besoins de déplacement

Et si l’on ne se déplaçait plus pour faire nos courses ? Avec l’essor du e-commerce, The Shift Project entrevoit de nouvelles habitudes à créer. Par exemple, en développant la distribution par tournée : les consommateurs commandent leurs courses sur internet et sont livrés à une fréquence régulière (deux fois par semaine). Des points multiservices, où retirer ses courses, pourraient même être déployés en diverses zones du territoire et pourraient prendre la forme d’entrepôts multi-enseignes pour mutualiser les tournées entre différentes enseignes. Cette solution demande une action de la part des acteurs de la grande distribution et des transports. Une autre pourrait consister à organiser du covoiturage de courses entre voisins. Mais cette solution soulève d’autres problématiques, dont l’aspect législatif : le particulier transporteur serait-il soumis aux lois de transport de marchandises, notamment pour ce qui est d’assurer la chaîne du froid ?

Au mieux un cinquième de la mobilité dans les zones de moyenne densité pourrait être évité par le télétravail

Outre les déplacements liés aux courses, un quart de l’utilisation de la voiture est lié au trajet domicile-travail. Le télétravail serait-il une bonne alternative pour réduire les émissions de CO2 ? Pas vraiment, d’après les calculs réalisés par le think tank. Car sur la somme des trajets parcourus dans les zones de moyenne densité, au mieux un cinquième de cette mobilité pourrait être évité par le télétravail, estiment-ils. Soit… 1 % des émissions dues à la mobilité locale périurbaine.

Enjeu n°2 : développer l’usage du vélo

Et si l’on considérait le vélo comme un véritable moyen de locomotion, et non plus comme un mode de transport « doux » utilisé principalement pour le loisir ? À l’instar de nos voisins hollandais ou danois, dont les capitales sont parvenues à en faire un moyen de déplacement plébiscité, serait-il possible d’envisager le vélo comme un moyen de locomotion tangible en zone de moyenne densité ? D’après cette étude, oui. À une condition : que les infrastructures soient équivalentes à celles développées pour la voiture. Très justement, l’étude souligne le piège du « résidualisme » : « comme le vélo occupe peu de place (à l’arrêt et quand il roule), comme ses émissions sont pratiquement nulles, comme il roule à des vitesses compatibles avec la plupart des autres activités humaines, comme il ne met pas en danger la vie d’autrui, la tentation est forte de lui attribuer des espaces résiduels, sur la voirie, dans les bâtiments. »

Une condition : que les infrastructures pour le vélo soient équivalentes à celles développées pour la voiture

Si l’ensemble des services, infrastructures et réglementations étaient pensés comme un système global au même titre que la voirie pour la voiture, le vélo pourrait supplanter l’automobile sur un certain nombre de trajets. Et grâce à l’essor des vélos à assistance électrique, il est envisageable de l’utiliser facilement sur des distances de 10 à 15 km aller. En développant des autoroutes pour vélo, mais aussi des services de réparation ou de location, ce dernier pourrait devenir un véritable mode de transport. Parmi les solutions proposées pour développer l’essor du vélo, l’étude évoque notamment la création d’un poste de manager vélo périurbain au sein des collectivités, pour encourager et développer les actions autour du vélo.

Enjeu n°3 : soutenir le covoiturage

Parviendra-t-on un jour à réunir la masse critique d’usagers nécessaire au bon fonctionnement des dispositifs de covoiturage ? Tel est le nœud du problème, à l’heure où seulement 10 % des actifs covoiturent tous les jours au moins sur une partie de leur trajet. Et sur ces 10 %, la moitié des covoiturages a lieu avec des membres de la famille : trop dur de s’accorder avec des inconnus, ou bien de les trouver ? L’Ademe a mené deux études sur le covoiturage et a établi les constats suivants : les plateformes de type Blablacar, avec planification du trajet à l’avance et partage de frais, ne fonctionnent pas pour les trajets réguliers de courte distance. Des applications avec géolocalisation, plus souples, sont en train d’émerger et pourraient changer la donne. Mais, pour l’instant, aucun dispositif n’est parvenu à percer et à atteindre la masse critique qui permettrait à chaque usager inscrit de trouver son covoitureur.

Pour l’instant, aucun dispositif de covoiturage n’est parvenu à percer et à atteindre la masse critique

D’après The Shift Project, l’absence d’une véritable commande publique favorisant le covoiturage pèse sur le secteur. Il existerait pourtant des solutions pour soutenir les initiatives :

  • mettre en place des voies à occupation multiple, autrement dit autorisées seulement aux véhicules dans lesquels se trouvent des passagers. Des alternatives existent, comme les voies gratuites pour les covoitureurs et à péage pour les « autosolistes » ;
  • aménager des aires de covoiturage et des points stop efficacement indiqués, qui maillent le territoire et rendent visibles les trajets possibles en covoiturage ;
  • proposer des avantages économiques aux covoitureurs, comme des incitations fiscales ou des aides destinées aux personnes économiquement précaires ;
  • offrir des tarifications privilégiées aux covoitureurs sur autoroute, ou bien des priorités de stationnement ;
  • clarifier le rôle assurantiel pour les voitures particulières et de fonction pour le covoiturage.

Si les collectivités peuvent manier certains leviers pour encourager le covoiturage, l’État a indéniablement lui aussi un rôle à jouer. Il faudra scruter avec attention la loi sur la mobilité, prévue pour le premier semestre 2018.

Lire aussi : Le BHNS, nouvelle coqueluche des transports publics urbains

Enjeu n°4 : mettre en place de vraies lignes de transport public express

Alors que deux actifs sur trois travaillent en dehors de leur commune de résidence, que 86 % des « navetteurs » utilisent leur voiture pour se rendre à leur travail en zone de moyenne densité, quel est le potentiel de report de la voiture sur le transport public express ? Cette solution, qui recouvre aussi bien les trains express régionaux que les bus express, mérite d’être déployée pour attirer plus d’usagers. Sur ces questions, pas de surprise : l’amélioration des réseaux ferroviaires est pointée comme une nécessité. Les collectivités, à leur niveau, peuvent agir en améliorant les rames (type boa, sans cloison séparant les wagons, et avec de larges ouvertures pour permettre au flux de sortir en entrer plus vite des trains). Autre point d’amélioration : l’aménagement d’un ensemble de pôles intermodaux en périphérie, permettant une connexion rapide entre le bus et les autres modes de déplacement (vélo, voiture…).

L’aménagement d’un ensemble de pôles intermodaux en périphérie, permettant une connexion rapide entre le bus et les autres modes de déplacement

Quant aux bus express, qui se caractérisent par des arrêts très espacés et une vitesse supérieure à celle d’un bus de desserte local, des sections d’autoroutes congestionnées pourraient leur être réservées, quitte à ce qu’elles soient partagées avec des véhicules en covoiturage. Utilisation de la bande d’arrêt d’urgence, élargissement des voies, réservation temporaire d’une voie existante en heure de pointe, aménagement du terre-plein central… les solutions sont nombreuses pour réduire le temps de parcours des bus express, et les rendre attractifs vis-à-vis des usagers.

Dans sa conclusion, The Shift Project voit grand : selon son « scénario potentiel maximal combiné, une réduction maximale de 60 % des émissions dues à la mobilité périurbaine pourrait être atteinte en mettant en œuvre, à un horizon de temps 10 ans, les domaines d’actions analysés dans [l’]étude. Si l’on ajoute le développement des voitures électriques et de l’efficacité énergétique des véhicules prévus par l’Ademe, ainsi que les évolutions de la population prévues par l’Insee, cette réduction des émissions pourrait atteindre 70 % ». Parviendrons-nous à mettre en œuvre le changement ?

The Shift Project, un think tank dédié au changement climatique

Association créée en 2010, The Shift Project est un think tank fondé, entre autres, par l’entrepreneur et consultant auprès de l’Ademe Jean-Marc Jancovici, et Geneviève Ferone, pionnière de la notation sociale et environnementale. Le groupe se positionne en tant que laboratoire d’idées en interface avec les acteurs économiques, politiques, académiques et associatifs, dans le but d’atténuer le changement climatique et de réduire la dépendance de l’économie aux énergies fossiles. Financé par un système de mécénat provenant des entreprises membres, The Shift Project dispose d’un budget opérationnel d’environ un million d’euros par an. Le think tank a notamment rendu public un « Manifeste pour décarboner l’Europe » en mars dernier, signé par plus de 3 000 citoyens, 80 patrons et une quarantaine de scientifiques et de personnalités politiques, parmi lesquelles on retrouve notamment la nouvelle ministre des Transports, Elisabeth Borne, signataire alors qu’elle était PDG de la RATP.

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